"Install' Action" texte publié dans la revue Inter, Quebec, 1999
"Install'
Action", c’est une expression que nous avons utilisée
la première fois en 87-88 à Tarascon, lors des Rencontres
Internationales de Poésie contemporaine où nous avons
présenté quelque chose (Le Temps Immobile) qui à nos yeux ne relevait pas des catégories
classiques, performance,
installation : il fallait inventer un terme, celui là nous
est venu, il figure dans le catalogue pour évoquer cette direction
que, depuis, nous avons continuer à explorer. Mais là il faut expliquer, revenir un
peu en arrière. Akenaton, est un groupe que nous avons fondé
Jean Torregrosa et moi même, au milieu des années 80.
Sans
refaire tout l’historique de nos discussions, l’un des points
forts pour nous était, alors, que la poésie visuelle "classique",
celle des concrets ou celle des italiens, des visifs, si on l’envisageait
du point de vue plastique ne nous satisfaisait pas. Sortir le texte
du livre et agrandir la gamme des signifiants d’accord, mais s’il
s’agit d’aller s’enfermer dans des espaces (et des
espaces de monstration) qui sont ceux que les plasticiens ont déconstruits
depuis un siècle, ça non, nous ne voulions pas. Quel intérêt
y a-t-il à échanger une bibliothèque contre une
galerie d'art contemporain ???- Nous ne voulions pas nous faire encadrer.
Nous étions las des tirages photo entoilés, des choses
murales, des collages etc… Nous nous sentions attirés par
d’autres hypothèses formelles, qui impliquaient des objets
de toute nature, un espace tridimensionnel, une relation au lieu. Nous
envisagions le poème comme une sorte d’ installation
de signes ou pour reprendre une formule que nous avons aussi utilisée
à cette époque comme la construction d’un « espace
de langage ». Il s’agissait là de pratiques
qui étaient utilisées par des plasticiens, dans les années
80, avec l’arte povera par exemple, mais pas par les poètes
visuels des générations qui nous précédaient,
dans leur grande majorité du moins.
D’ailleurs
, pour nous, ce genre de pratiques rejoignait un autre souci que nous
avions alors en tête, celui de ne pas produire - rajouter des
objets de quelque nature qu’ils soient dans un monde sur saturé
par la marchandise et le gadget, qui en déborde comme une poubelle.
Nous voulions donc agencer des événements, des situations
éphémères, ce qui ne veut pas nécessairement
dire de simples esquisses ou des choses qui disparaissent en un instant.
Ephémère implique que vous n’envisagez pas ce que
vous faites comme susceptible de s’abstraire du lieu de sa réalisation,
et que sa disparition est initialement programmée sur un mode
ou un autre. Il nous est par exemple arrivé de travailler avec
de la poudre de marbre et, après l'action, qui débouchait
sur une pièce plastiquement très satisfaisante, une sorte
de statue paradoxalement plate (!), de balayer soigneusement le tout
et de l'emballer dans des sachets plastiques.
C’est une problématique qui peut être intéressante
quand on la rapporte, de façon critique, à tout ce qui
relève de l’art muséal, du marché, des problématiques
de l'historicisation etc., mais pour nous c’était aussi
, peut être même surtout, que ceci permettait de retrouver
d’une manière forte le statut du poème : lui
aussi est un non objet, quelque chose d’ inappropriable.
Nous
sommes donc partis vers des pratiques liées à l’installation.
Mais il y a un autre fil, qui n’est plus celui de la poésie
visuelle ou concrète, de la volonté de les dépasser
, c’est le fil de la performance. Dans ces mêmes années
elle est un mode expressif en plein développement et nous
nous y intéressons beaucoup, ne serait ce qu’à cause
de l’aspect qui la rapporte à l’installation, l’éphémère.
Par contre, dès ce moment , il
y avait quelque chose que nous refusions, qui se trouve souvent
lié à la performance et qui est la question de la subjectivité,
de l’expression de l’ego, profond ou pas, voire même
de son dépassement vers le grund des pulsions. Cette idée
que la performance correspondrait à une sorte de dimension psychologique
(psychanalytique), en tout cas qu’elle serait à envisager
en liaison avec le corps, nous ne disons pas que cela ne fasse pas partie
de la performance. Cela en fait partie. Les viennois et bien d'autres
l'ont montré. Mais
cela n’est pas lié nécessairement et essentiellement
à elle. Car il n'y a d'essence de rien, pas plus de la performance
que du reste Les discours religieux, la référence aux
origines, le shamanisme et toutes ces choses, on s'en fiche. Plus qu’au
corps "organique", c’est aux gestes que nous nous sommes
intéressés, et plus qu’au corps « nature
& vérité» au corps matériau, signe producteur
de signes et élément plastique vivant, mouvant, éphémère.
Du coup la dimension « expressive » devient secondaire.
Nous avons cherché à trouver des modalités performatives
où le corps se tient en retrait, où il s’agit de
l’accomplissement d’une tâche, rien de plus. Une tâche :
nous voulons dire qu’il ne s’agit pas non plus pour nous
de résorber la distance art/vie quotidienne. Nous ne cherchons
pas à montrer, comme geste plus ou moins intéressant,
un geste ready made, se brosser les dents, marcher dans la rue etc comme
Kaprow ou Fluxus. Nous faisons ce qu’il y a à faire au
moment où il y a besoin de le faire et de la manière la
plus techniquement efficace. C’est cette sobriété
que nous recherchons, le genre de choses que l’on peut éprouver
en regardant quelqu’un qui travaille et qui connaît son
métier, on pourrait oublier qu’il est en train de faire
quelque chose parce qu’il n’y a rien qui dépasse.
Evidemment, on se rend compte là que cette conception de la performance
implique ce que nous avons appelé une « tâche ».
Et c’est là que nous avons retrouvé l’installation,
c’est à dire que nous nous sommes dits que puisque nous
faisons des « installations » et bien il fallait
les exécuter, les concevoir comme des actions, les structurer
et les présenter, en direct, comme telles. Nous sommes alors
arrivés à "l’install’Action".
Dans
cette perspective qu’est-ce-qui se passe? D’abord, qu’à
la différence de la performance « expressive »,
l' action débouche sur un résultat qui n’est pas
une trace plus ou moins aléatoire puisque l’installation
qui se dévoile au terme est ce qui a donné sens à
l’ensemble des gestes qui précèdent. Ce qui domine,
ça n’est pas une logique du sujet ou de l’ego, c’est
une logique de l’espace, des signes, des matières. Nos
actions sont donc très « tendues », très
rigoureuses, mais elles ne sont pas du tout chargées de « pathos ».
Elles sont froides. Nous refusons toute notion théatrale. Nous n’incarnons
rien. Nous ne sommes pas des acteurs, nous agissons, nous nous mettons
physiquement au service d'un processus. En même temps, parce que
cette installation a été réalisée de cette
manière, en direct, et, en ce qui nous concerne, à deux,
- ce qui est une dimension tout à fait importante - elle conserve en elle une sorte d’imperfection, elle
garde la mémoire des hasards qui ont jalonné sa réalisation
et qui la marquent, et, finalement, en creux, elle pointe vers les gestes
qui l’ont générée. Ainsi pour nous, les deux
versants, celui des gestes et du faire comme celui du résultat,
sont profondément dépendants ; l’œuvre
est cette totalité, qu’on ne peut d’ailleurs pas
vraiment appréhender d’un seul coup d’œil puisque
ou bien l’on est dans le faire et alors ce qui est visé
n’est pas donné totalement ni dans son indépendance,
ou bien on est dans le «voir» final mais alors les gestes
se sont retirés : une installation pour nous c’est
un peu comme un nid d’oiseau ou comme un guêpier avec ses
alvéoles, quand il n’y a plus ni les oiseaux ni les guêpes.
Des objets -coquilles de ce type peuvent être vus en tant que
tels. Pourtant ils tirent aussi leur substance des oiseaux et des guêpes
qui les ont quittés.
Souvent,
il nous arrive de juxtaposer l' installation finale avec une trace vidéo,
prise lors de la réalisation, lors de l’action. Ca n’est
pas pour remplacer quoi que ce soit, c’est pour souligner l’absence
du geste. Il ne faut pas mélanger une œuvre «totale»
et une œuvre «close». L’install’action
parce qu’elle peut aller bien plus loin dans le mixage des codes
et des technologies que la poésie visuelle « classique »
ou même que la performance , parce qu’elle est rapportée
à l’ensemble des régions de l’art et des diverses
technologies ou langages peut passer pour « totale ».
Mais c’est une totalité déchirée.
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