À chaque fin de performance,
chaque fois…
À
chaque fin de performance, chaque fois que l’exécution
de l’un de mes poëmes en chair & en os s’achève,
il y a toujours un spectateur (généralement une spectatrice,
le plus souvent d’un âge incontestable) qui s’approche
de moi avec aisance et souplesse, genre complice, et qui me murmure
à l’oreille : «
Mais vraiment, êtes-vous obligé de crier de la sorte ?
Vos textes y gagneraient beaucoup si vous n’étiez pas aussi
gueulard* ! »
C’est
vrai. Mais comme le proclament sur les petites lamelles noires en lettres
capitales
jaunes des panneaux d’information des villes amies :
« Il vocifère Il faut s’y faire »
Voilà
je crie mes textes et je les articule, je
les bouge, je les remue et je gesticule.
On
me fait moins de remarques sur mes mouvements, sur mes gestes, comme
si bouger était moins grave, moins ridicule que crier. Donc
je remue et j’hurle... Le
19 septembre 2004 : j’ai eu 62 ans. L’épaule
gauche de temps à autre est du genre indocile, le
creux du genou, de gauche lui aussi, perd de sa souplesse et de son
aisance, la
nuque accuse à la fin du jour quelque raideur, les
pieds, le socle mobile de mon corps, aimeraient qu’en soirée
ce soit le cul qui soit piédestal
ou soubassement, les
articulations, les os, la viande, la peau, les viscères ont de
plus en plus de mémoire…
Alors,
hui, que mon corps est encore fidèle, que ma voix peut être
encore tonitruante, que
ma force et mon énergie peuvent encore simuler la jeunesse, je
désire quitter le poëme en chair et en os en pleine forme
: aussi bien le poëme que moi.
Il
y a quarante ans (1962), c’était ma première
performance : « Reps 306 », une interview avec les
éléphants du cirque Franchi, et depuis, hors
mes livres, loin
ou près de mes expositions, dans
ou aux côtés des espaces que j’ai créés
pour ce faire (festival, centre d’art, friches, rues, places publiques,
&c.), je
n’ai arrêté de gesticuler et de crier, de dire, de
faire : 1972 sur-impression Comment
des danseurs s’immobilisent sur mes paroles pour devenir une fresque
typographique. 1982 Ecfruiture
Écrire
avec mes pieds en écrasant les fruits de saison et en les interpellant
: «
l’écriture c’est le pied = écrire comme un
pied ». 1982 Chute : chut !
La
chute interminable. Par exemple, dans tous les escaliers de la gare
Saint-Charles de
Marseille, pour finir sur ce mot, un doigt sur mes lèvres : Chut! 1992 La Pythie et la fin de la chasse ou la Pythie
claustrophobe
Reprendre
tous les récits de Diane et d'Actéon selon toutes les
mythologies classiques de l’humanité : Grecque, Latine
; ou premières : Amazoniennes, Africaines ; ou préhistoriques
: Aurignaciennes ; et jouer tous les rôles : le prophète
et la devine, celui qui pose les questions et celle qui y répond. 2002 La poésie est morte
Danser
le tango et la valse avec des carcasses de moutons ou de porcs piétiner
des volailles plumées et attendre que le dernier poète
vienne ressusciter la feue poésie. 2002 &
pour finir Danser
colorier effacer : un même mouvement. Se
clouant les pieds sur deux planchettes, il écrase de la peinture
jusqu’à l’effacement des
verbes écrits : danser, colorier, peindre, écrire, dire,
crier –
toutes ces activités sont, en effet, un seul geste.
Pour
ne prendre en considération qu’une ou deux bornes par décennie.
julien
blaine avril 2004
----------------------------- * Et selon l'éducation, la culture ou le vocabulaire
de celle-ci ou de celui-là, l'insulte peut découler des
verbes suivants : brailler, criailler, glapir, rugir, aboyer, hennir,
s'égosiller, s'époumoner, vociférer ; s'égosiller et s'époumoner me conviennent très
bien. Julien Blaine
La performance*
C’est
un corps dans
un espace et
c’est un son dans
un corps, ce
son est celui de mon corps ou
celui de cet espace, c’est
un son de nature : voix,
viande, &c. ou
un son d’artifice : musiques,
bruits, &c. Puis
c’est un geste du
corps et
un mouvement de
cet espace et
comment jouent ensemble le
geste du corps et
le mouvement de l’espace. Le
mouvement de l’espace est
proprement celui de l’espace mais
aussi du peuple de cet espace : du
public. Là,
tout va bouger : le
corps, l’espace,
le
son, le
geste... Et
la rencontre sera ou
s’évaporera. Là,
aux entrepôts frigorifiques, sous
les voûtes dans
cet espace en
bord de Seine aux
frontières d’une friche industrielle qui
sera une université parisienne (l’université
Denis Diderot) la
rencontre s’est établie... Quant
à l’enseignement : l’université
future ne
pourra jamais faire mieux. julien
blaine octobre 2002 --------------------------------------------- *Post
Scriptum c’est
un art désespéré
P.S.
n°2 Si
je dis « à ce jour » c’est comme s’il
y avait une lueur d’espoir, or, l’obscurité est totale. Néanmoins
« à ce jour » toute révolte contre l’injustice
comme tout combat pour la justice -ce qui n’est pas la même
chose- celle des hommes, celle qui fait la différence avec la
barbarie des animaux domestiques ont été un échec.
L’administration américaine made in U.S.A. (héréditaire
et désormais truquée) et l’administration russe
made in U.R.S.S. (mais oui ! Mon pote Poutine ! en U.R.S.S.
!) règnent règnent
sur le monde aidées
par leurs chiens et leurs faucons deux
bêtes faciles à apprivoiser. julien
blaine printemps 2003
P.S.
n°3 En
ce début de millénaire la
performance est guettée par 4 dangers : 1/
le gag trop intelligent 2/
le gag trop idiot 3/
la saynète théâtrale 4/
le monologue pour cabaret à touristes
1
risque : 1/
la longueur et
2 réalités : 1/
les critiques hors-média et hors-style s’emparent, désormais,
de cette discipline et, hors de cette culture, la définissent
néanmoins (en tant qu’ingénieur d’un appareil
critique d’une machine hors-circuit). 2/
ceux qui pratiquent ça parce que ce serait être à
la mode... et
5 con tenus
néfastes 1/
l’engage ment simpliste
et altruiste 2/
le sexuelle ment
nu
ou opaque 3/
les symboliques et les ri tu els pisse
de chat et caca-boudin 4/
la mise en scène de l’antipathie spontanée et radicale
des artistes entre-deux (entre-deux âges, entre-deux styles, entre-deux
&c.) à l’égard des autres artistes (jeunes et
vieux, physiques ou technologiques, &c.) 5/
le retour au happening, gutaï et autres spectacles avec participation
obligatoire du public
P.S.
n°4 En
ce début de millénaire la
performance est partout avec le théâtre, la danse, la musique,
les arts plastiques et
c’est tant mieux... Mais
elle est aussi enseignée dans les Écoles d’Art et
là c’est tant pis. Pauvres
écoliers qui se retrouvent face à des jeunes femmes ou
des jeunes hommes voire des vieilles femmes et des vieux hommes qui
sont loin de leur corps et de leurs actes, loin de leur vie et de leur
désir, loin du risque et du plaisir, loin de la haine, de la
révolte et de l’amour et qui conduisent ces écoliers
de colloques en séminaires sur les autoroutes du savoir mort.
P.S.
n°5 En
ce début de millénaire moi,
après
42 ans passés à en faire (des perfs c. à d. des
poëmes en chair et en os) j’arrête, j’arrêterai
fin 2004. Je vous dirai et je vous dis : ça commence à
Marseille à la Friche de la Belle-de-Mai le 18 novembre 2004.
Après
je me planquerai dans les résidus : livres, disques, films, expos
et autres traces ordurières.
P.S.
n°6 Finalement, je
fais des expositions pour
publier des livres : des
livres, pas
des catalogues. Le
livre dans l'espace donne le
livre dans le livre. Et,
après je peux lire le
livre, le
lire de tout mon corps, en
chair et en os...
julien
blaine printemps - été - automne - hiver 2003
P.S.
n°7 Désormais,
mon corps n'est plus à la mesure de mon ambition...
P.S.
n°8 À
part Balint Szombathy qui, bien que plus jeune, fait plus vieux que
moi, j'étais le benjamin de la fournée de l'E.P.I. Zentrum
« Der Lange Atem » (Zbigniew Warpechowski et Jerzy Beres
de Pologne, Janet Haufler de Suisse, Sten Hanson de Suède, Balint
et moi), rencontre à l'initiative de Boris Nieslony... Alors
oui! Je me suis dit : « Oui! Je pourrais comme eux, comme elle,
continuer à performer, montrer mes rides et mes plis, mon souffle
court et mes muscles flasques, ma peau flétrie et mes poils blancs
et nos infirmités (comment écrivais-je « ça
» jadis dans mes Bimots ? :
Poumons
/ goudronnés - Cartilages / déconjugués - Reins
/ ensablés - Foie /engorgé - Vaisseaux / encrassés
... Peaux / rides - cheveux / blancs - Poils / gris - Muscles / douleurs
- Viscères / douleurs - Squelette / douleurs - Cervelle / mémoire)
La
vieillesse est déjà une performance si elle est exhibitionniste. Mais
c'est une perf. à partir d'un âge certain à la portée
de tous. J'ai
vu Isou en slip Kangourou, Esther enrubanné de scotch transparent
et la grosse et vieille queue de Jerzy peinte aux couleurs de la Pologne,
et moi, en ai-je assez fait, nu, des « appels au linge »!
L'ange et L'un seul ou le lange et le linceul... Donc,
désormais je resterai vêtu, et assis, calme, derrière
une table pour lire clair, sobre, digne (à la rigueur : debout)
vrai. Le
texte, lui, sera à poil et au poil, c'est du moins mon souhait
et ma volonté. Je
laisse à mes amis et à mes ennemis, à mes chers
infirmes plus ou moins diminués, leurs textes dits, agités
& datés
P.S.
n°9 J'ai
été souvent ridicule et normalement grotesque de 1962
à 2004 (inclus)...
P.S.
n°10 (
le + & le - ) C’est bien que j’arrête la perf.
(
le poëme enchair&enos et àcor&àcri ) : de
5 à 5000 personnes spectatrices-auditrices je n’ai toujours
qu’un public de 2 personnes : l’une
qui dit : “
Vous êtes obligé d’hurler tout le temps ? ”* et
l’autre qui me confirme que j’ai inventé le poëme
olfactif.**
-------------------- *
il vocifère, il faut s’y faire **
Ecfruiture
julien
blaine automne - 2004
Nota
: Sans
doute, sans
aucun doute, il me sera impossible de travailler sur un sujet important,
que je juge important, que j’estime important -et que le monde
entier juge ridicule ou sans intérêt-, sauf toi, Ô
mon lecteur, en pesant 105 kilogrammes (moins quelques grammes) pour
1mètre,85 (moins quelques millimètres) et un bide insupportable
: hanche
: 1m,11 ; cul : 1m,12 ;
ventre poussé : 1m,15
; ventre rentré : 1m,02. Alors
je vais commencé ce travail par un jeûne de quelques jours
jusqu’au 88/89/90 kilo. maxi et un bide ni poussé ni rentré
de 0m,87. Ce
jeûne sera assorti de longues marches au bord de l’océan,
de splendides promenades, là-haut près du Piton, et de
balades dans les plaines...
Puis,
enfin, je pourrais me remettre à l’écriture.
De
retour, si je retourne (!), pour préparer ma dernière
soirée de performances : sa
dernière soirée, dit-il à la troisième personne
comme si déjà, étranger à ça, il
était. Sa dernière soirée où il donnera,
avant de se réfugier dans les seuls résidus : lectures,
livres, disques, films, expositions, &c., sa meilleure performance
(selon lui !) de 1962, la meilleure de 1972, celle de 1982, celle de
1992 & celle de 2002.
Je
resterais dans ces dispositions : 88/89/90
kilo. maxi et un bide ni poussé ni rentré de 0m,87. Je
suis un poète physique “en chair et en os”, «
à cor et à cri », il ne me suffit d’écrire
avec du café, du zamal, du rhum ou tout autre alcool, de l’encre,
du clavier ou tout autre outil, il faut que j’articule à
tous les sens du verbe, que je me déplace et que je prononce. Le
contrôle du corps, du larynx au abdominaux, la vérification
du fonctionnement des muscles & des viscères, la maîtrise
des jus de ma viande & des muqueuses de mes trous et le savoir-faire
des os & des nerfs sont indispensables. Mes
appareils & systèmes, les connexions entre la cervelle et
le reste, la voix & le geste, le mot & ses attributs doivent
rester impeccables, jouissifs. Je
dois vouloir -désirer- montrer ce corps praticable et en exercice,
en cours. La
Réunion sauvera(it)-elle, restaurera(it)-elle le corps ? Il
faut que ça s’anime, que ça rayonne et que ça
s’embrase.
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