Thorie(s) de lÕaction
Ë propos du DOC(K)S thorique et de deux contributions : Frontier et
Hanna par Philippe Boisnard Il sÕagira de parler de deux perspectives sur lÕaction
qui sont exposes dans le dernier numro de Doc(K)s, car en effet,
moins de vouloir dvelopper un essai complet sur la posie, il apparat
impossible de saisir dans le dtail la somme de ce dernier numro. Seul
le choix dÕune ligne de structuration pourra permettre de comprendre
en quel sens se joue des tensions critiques, thoriques et pratiques. Et pourtantÉ Et pourtant, lÕaction
hante de trs nombreux articles, on les croisera, de nombreux en
revenant mme sa descendance, ses origines grecques. Ce numro nÕest
pas celui sur lÕaction, mais il en est ici certainement plus question
que ce ne le fut prcdemment, mme si cela fait moins Ïuvre. Plus
question, car donn par beaucoup comme question mme de la posie,
de son ouverture, de sa ralisation. LÕaction : le choix de deux textes, celui dÕAlain Frontier
dveloppant une critique explicite de la thorie de la posie action
directe de Christophe Hanna, et le texte de Hanna renforant les
bases pistmologiques qui sont les siennes dans son livre pris ici
en grippe. Choix de deux textes qui ne pourra ignorer cependant
ceux qui croisent ces deux axes, tel celui de Pey, Darras ou encore
Leibovici. Pourquoi choisir ces deux perspectives ? Non pas seulement
parce quÕils sont lÕun ct de lÕautre, mais parce que lÕun et lÕautre
me paraissent synthtiser deux voies qui sÕopposent aussi bien quant
la dfinition ontologique du sujet, que quant aux spcificits qui
dterminent pistmologiquement la possibilit de saisir les enjeux
dÕune cration donne. SÕils ont t poss lÕun prs de lÕautre, cÕest que cette
dition, comme je lÕexpliquais dans ma prsentation gnrale, nÕest
pas une taxinomie alphabtique, sorte dÕabcdaire des animaux de lÕempereur,
mais quÕune dynamique problmatique a t choisie par les trois acolytes
de DOC(K)S. DOC(K)S se prsente comme un dispositif, une mcanique qui
met en jeu,, en rapport de dtermination des textes. Ainsi, le texte
de Frontier, vient la suite de textes thorique qui se situe surtout
dans la modernit. Il en serait en quelque sorte un post-scriptum, ou
bien la note, la note venant resituer cela en rapport avec ce qui lui
est extrieur, qui sÕest pos pistmologiquement en marge : la posie
action directe de Christophe Hanna. Le texte de Frontier viendrait
prciser ce qui le prcde, mais non plus exclusivement en tant que
rflexion sur la pratique potique dj pose, compose par plusieurs,
mais en rapport ce qui dborde cette pratique et que reprsente pour
une part le texte de Hanna. Ce qui prcde Frontier, fait lÕpreuve des multiples dfinitions
de la modernit : le rapport du sujet une langue quÕil pousse aux
limites dÕun certain dicible, en voulant affronter lÕimpossible, le
rel. Frontier, que lÕon connat pour Tartalacrme, son livre
sur la posie chez belin, entre autres, pose la posie dans un rapport
Ç dÕinquitude È vis--vis du langage, la posie tant lÕinquitude
du langage sur lui-mme partir de la situation au sein de laquelle
existe le pote. Ainsi la posie rpond pour lui, immdiatement dÕune
poticit ontologiquement tablie, quÕil affirme dÕemble, avant sa
critique, en tant que postulat ontologique : partant de la distinction
entre science et posie, philosophie et posie, il exprime le fait que
la diffrence fondamentale serait que : Ç la posie est irresponsable
È, autrement dit le pote se tient en-dehors de tout rendre compte,
de toute instance pouvant en lgitimer le geste. Ce geste est minemment
linguistique, comme cela apparat par la focale des citations qui lui
servent dsigner cette irresponsabilit : Tzara Ç LÕart est une chose
prive, lÕartiste le fait pour lui ; une Ïuvre comprhensible est un
produit journalistique È, Artaud : ÈTout vrai langage est incomprhensible
È. Cette irresponsabilit sera rappele in fine, lorsque pour
clturer sa critique, il remet en vidence la nature de la posie :
Ç La posie sÕcrit dans le dsquilibre, dans lÕinstabilit du signe,
dans le porte--faux, dans lÕinterminable È. En mettant cela en avant
il rejoint par exemple Jacques Darras, qui posant une critique assez
ferme des modes de communication actuels, et de la manire dont est
devenu le langage, exprime que la langue potique Ç induit une forme
dÕtranget É la posie est lÕtranget de la prose elle-mme. Qui
ne se reconnat plus mais se dcouvre fils ou fille dissidente ou rebelle
È. Et il redouble cela, en disant quÕil est urgent de rflchir sa
survie. La poticit mise en avant est donc celle de lÕarrachement
de la situation symbolique, sociale, politique, etcÉ qui dtermine le
sujet, en direction dÕun rel voil, de cette aura dont les dadastes
nous entretenaient bien videmment dj ds les annes 10-20. Ontologiquement,
lÕessence de la posie, ici re-prsente, dtermine le
langage en tant que mdiation pour atteindre une forme de rel effac
par lÕinstauration de la ralit du monde humain. Cette posture est
parfaitement dvelopp par Serge Pey ou bien Giovanni Fontana : Ç La
modernit de la posie nÕchappe pas cette loi. La modernit nÕest
pas le nouveau radical dÕune marchandise de la mlancolie ou de la mort
de la beaut. Etre moderne cÕest inventer de lÕinconnu pour voir lÕinconnu.
CÕest accoucher dÕune inconnaissance qui connat notre connu dÕinconnaissance
È explique Pey. Nous comprenons que le langage doit faire troue [cf.
Prigent, on pourrait trouver
une mme perspective chez Blaine ou Suel, mais chaque fois selon des
modalits thoriques diffrentes] dans le tissu de la ralit, amener
si ce nÕest une explosion, une forme de brche, dÕouverture, ce qui
passe par cette alchimie dont parle Giovanni Fontana : Ç au gnie potique
il est demand de mettre en jeu la synchronisation des processus de
conjonction (performance) afin que puissent tre atteints les niveaux
formels les plus levs. Le pote, aux prises avec la transmutation
de la matire alphabtique et verbale, comme lÕalchimiste, sÕemploie
la recherche des possibles facettes de la substance È. Par ce postulat de la modernit chez Frontier, apparat
une certaine forme de prdisposition pistmologique quant sa rception
des hypothses de Hanna. Il le peroit, lÕapprhende [et non pas le
comprend] par le prisme de catgories qui prdfinissent par avance
ce que doit tre le langage. Et cÕest selon cette logique de perception
quÕil va mettre en critique le terme dÕaction, en lui opposant la rfrence
Heidsieck et la dnomination de posie-action. LÕaction, de la posieaction,
il la pense intransitivement, non pas en tant
que devant aboutir É , selon une certaine forme de fin
a priori pose, mais selon une dfinition modale qui affecte la posie
seulement. Ç Lorsque Bernard Heidsieck, ds 1959 (É) commena remplacer
le terme de posie sonore par celui de posie-action, il donnait au
mot action un sens qui nÕa strictement rien voir avec lÕaction directe
du jeune Hanna. LÕurgence tait pour lui de faire sortir la posie dÕun
enfermement qui lui tait intolrable È. Ce quÕil entend par action
est cette sortie du cadastre de saisie, cÕest la possibilit de faire
un effet potique. Pour quelle raison lÕaction, parce que sa
finalit est de faire un certain effet de posie, qui nÕest pas possible
ou encore qui est diffrent, de celui de lÕcrit. LÕaction ne renvoie
pas une fin extrieure ce quÕelle dsigne, elle est la modalit
dÕapparatre [qui dtermine lÕaisthsis] du potique. LÕaction
est bien praxis. Or, quÕest-ce qui fonde cette ncessit de lÕaction,
cela tient au fait que la modalit du langage puisse faire une sorte
dÕeffet sur lÕauditeur impliquant un recul, une forme de dport ouvrant
au fait que la posie justement est la donation de cette possibilit
de sortie, de dcloturation de ce qui tait admis dÕ Ainsi les postulats de Frontier se dterminent en tant que
: 1/ le langage potique se constitue idiolectalement ; 2/ que lÕeffet
qui est attendu soit de lÕordre dÕun affect ouvrant lÕauditeur dans
une forme de troue face la ralit du monde symbolique ; 3/ que lÕtre
de lÕauditeur de la posie soit ouvert ontologiquement cette donation
; 4/ que lÕaction se rapproche dÕune forme dÕeffet intransitif, dÕintensification
actionnelle du potique donn et cela selon des conditions lies pour
une part on sÕen doute la phon [il est noter que son livre
sur la posie finit prcisment sur la question de la voix et contient
notamment une partie qui sÕappelle Posie sonore posie action].
Or, certaines critiques peuvent tre portes ces postulats.
Ë commencer par la manire dont il dtermine lÕauditeur, le spectateur
[3]. Tout en crivant, quÕil Ç est libre È, il suppose que lÕassomption
de cette libert soit dans la transpassibilit ce qui survient par
la parole potique. Libert qui est en fait ramene une forme
de transcendantalisme de son tre : le propre, lÕauthenticit, ce qui
est ontologiquement comme non contamine par les institutions symboliques.
La posie de ce fait pourrait tre pense comme acte opratoire, qui
dite, donne, aurait comme efficace de dvoiler, lÕtre de lÕauditeur,
de trouer le tissu symbolique qui lÕempche de voir. [2] Cependant ce
serait vite oublier quÕaussi bien consciemment, quÕinconsciemment, chaque
individu apparaissant dans lÕespace publique est dj pr-dtermin
par un ensemble de vectorialits aussi bien au niveau perceptifs que
conceptifs. Ces vectorialits, nous le savons, cÕest ce sur quoi la
sociologie a travaill tout au long du sicle et ceci : du dterminisme
sociologique durkheimien, jusquÕaux transmissions dÕhabitus et aux polarisations
des champs dÕappartenance chez Bourdieu. Le problme ici que je soulve
est celui en effet de savoir qui on sÕadresseÉ Ë qui crit-on quand
on crit sans tenir compte de tout compte rendre ou de tout rendre
compte vis--vis dÕune instance ordonnanant lÕespace symbolique
? LÕauteur crit en direction de soi, et de cette authenticit, chaman
de lui-mme, et il suppose rencontrer la mme tension chez lÕautre.
Si, en effet la postulation dÕun rel en-de de lÕinstitution symbolique
du monde entre ainsi en cho avec un certain nombre dÕindividus, toutefois,
tant dans le forage et postulant une ontologie de lÕhermticit potique
[1], lÕidiolectal potique, cette position, sÕauto-constituant en tant
que situation dÕo peut tre dit le vrai potique, ne se pose pas la
question du rapport entre sa lettre et lÕoreille ou les yeux de ceux
qui sont l. Et cÕest en ce sens que la question Pourquoi encore
des modernes ? doit tre repose. SÕil est vident que cette donation
potique entre en cho avec des auditeurs, des lecteurs, des spectateurs,
reste que cette rencontre, fondant lÕouverture dÕune forme de dimension
inter-subjective, nÕest aucunement critre de toute forme dÕintersubjectivit
relationnelle lie aussi bien au potique quÕ lÕartistique. De plus,
et l il me semble que Alain Frontier tombe dans un leurre, et ceci
depuis son livre chez Belin, il privilgie le mdium sonore pour caractriser
lÕaction, alors que Derrida nous a bien enseign le double-bind se situant
dans cette perspective, et en quel sens derrire lÕimmdiatet phnomnale
postule se cachait la perspective de retrouver une archi-trace fondamentale,
pr-inscrite dans lÕtre [cf. le cas Artaud bien entendu et lÕanalyse
de Derrida dans LÕcriture et la diffrence] [4]. De ce fait, une triple limite impense apparat selon une
telle dmarche : 1/ il y a clture de la scne de construction du langage
potique implicitement ou explicitement pose par lÕontologie de la
poticit implique en rapport lÕontologie de lÕhomme, 2/ lÕaction
potique dans son intransitivit est hante par une forme dÕa priori
mtaphysique de la voix, dÕune forme de donation mdiumique dtermine
3/ cela implique aussi, et les articles qui se font cho dans DOC(K)S
en tmoigne, un a priori pistmologique quant la possibilit de parler
de posie. Et l, il nÕest quÕ noter la dfrence quÕemprunte Frontier,
se faisant matre (rappel des tymologies, de leur sens en contexte)
et minorant plusieurs reprises Hanna par des qualificatifs tels que
le Ç jeune È. Ici apparat, au sens de Bachelard, un obstacle pistmologique,
qui empche je crois Frontier, comme dÕautres de ces penseurs de
la posie de saisir les enjeux poss entre autres par Hanna. LÕobstacle
pistmologique qui est en rapport avec la thorie de Frontier serait
celui ci : une forme de naturalit de la langue potique, dÕorigine
prdfinie et del reconnaissable. Rsultat : pour mettre en critique la pense de Christophe
Hanna, au lieu de penser partir soit des fondements pistmologiques
propres Hanna lui-mme [et regarder selon des rgles donnes la bonne
formation, la cohrence, la conformit logique, en quel sens cela peut
rendre compte justement de certains objet potiques], soit en recherchant
de nouveaux moyens pistmologiques dÕapproche, il juge et soumet ce
qui lui est extrieur ses propres catgories de perception. Il y aurait
l Ñ je crois Ñ une sorte dÕpistmocentrisme. Or, justement ce que pose Hanna, ds Posie action
directe, mais beaucoup plus explicitement dans son nouveau texte,
cÕest la possibilit de la cration pistmologique face certaines
crations artistiques ou bien linguistiques. Car la question que nous
sommes un certain nombre poser est celle de la mise en relation entre
la situation dans laquelle nous sommes inclus, et de lÕautre la production
dÕobjet qui y sont intriqus dÕune certaine manire. Ces objets tant
des formes dÕarticulation de la connexion situationnelle. Ces objets,
que cela ceux par exemple de la Rdaction [diaporama ou rapport], ceux
de Yves Buraud [tel son petit atlas urbain ou bien ses affiches], ceux
de lÕAgence_Konfllict_SysTM [objet informationnel diagrammatique ou
bien constitu dans le rseau internet] ne peuvent plus tre apprhends
par les catgories a priori poss par Frontier et dÕautres, sous peine
dÕtre tenus dans une forme dÕignorance, aussi bien critique quÕditoriale.
Car, et je reprends ici ce quÕexplique avec pertinence dans son article
Franck Leibovici : Ç le document potique est transitif parce quÕil
est actif, cÕest--dire travers par des flux dÕinformations entrant
et sortant (inpouts-outpouts) È. Et l je rappelle seulement ce
que je constatais dans ma note n¡5, il y a bien une certaine
forme de pratique de la posie, qui est irrecevable, et ceci non pas
par les institutions symboliques extrieures la posie, mais par la
posie ellemme [considre en tant quÕunit synthtique polarise
sur la modernit], en tant que les pratiques, chaque fois singulire
et archipellise enveloppe cet impens constant dÕune certaine forme
dÕontologie. Ceci pose la question de la transformation des fondements
intentionnels tout la fois de la rception de cette ralit symbolique,
et dÕautre part une transformation intentionnelle quant lÕacte de
production. Et cÕest ici que Christophe Hanna, comme au niveau de la
rception des ouvres informatiques Mario Costa comme je le rappelle
dans mes notes publis dans ce DOC(K)S [note n¡5 : une nouvelle pistmologie],
pose la question non pas seulement de ce que sont ces crations, mais
en quel sens nous imposent-elles de rflchir et de prendre le risque
de la cration de nouveaux prismes de perception et donc dÕune rflexion
critique sur les critres pistmologiques de notre approche. Et ceci,
ds lors que nous est apparu que le prisme critique de la modernit
obissait certaines fixations de catgories dÕapprhension, en les
dplaant, en les rinterrogeant, en tentant de montrer pour quelles
raisons elles sont dans la difficult dÕapprhender certaines formes.
Cette difficult peut se voir dÕune certaine faon dans lÕarticle que
fit Prigent dans Fuses n¡8, portant sur La ritournelle
de Fiat et dÕautre part Posie action directe de
Hanna ou encore dans son entretien avec Pascal Bouchet-Asselah, o dfendant
lÕinquitude du sens, il en vient parler de la jeune gnration de
posie, et pour en poser la spcificit se rfre aux lignes gnalogiques.
Si pour une part Prigent a raison, Ç aucune Ïuvre ne nat sponte sua,
sans gnalogie È, ce que je ne cesse de rpter depuis la fin des annes
90 par rapport la post-modernit elle-mme, toutefois, reste que la
question de lÕapprhension ne se polarise pas sur le recoupement gnalogique
des formes, mais sur la question des rapports de connections tudis
gnalogiquement. Ainsi, pour poser Burroughs, ce qui est important
pour un certain nombre dÕentre nous, ce nÕest pas tant les formes plastiques
ou littraires poses en elles-mmes [ce qui caractrise les modernes,
leur rfrence son travail] mais en quel sens la pratique du cut-up,
du brouillage correspond une intentionnalit dÕinter-connection situationnelle
dtermine poqualement. Donc cÕest la question de la connectivit qui
est pose et non la question de la nature de la matrialit potique
ou artistique. Et ceci parce que justement il y a un retournement pistmologique
majeur, que semble ne pas comprendre Frontier, cÕest que lÕÏuvre est
penser selon les procdures de connectivit et non selon son positionnement.
Nouveau prisme de perception : comment une Ïuvre quelconque
se dfinit 1/ soit par un ensemble de catgories a priori dfinies et
dlimitant un seuil de rception ; 2/ soit par le fait quÕtant, elle
ne parvient pas tre apprhend, elle est comme je lÕcrivais en parlant
dÕEspitallier et de son Thorme, dÕun mauvais genre, dÕun genre
indfinissable, comme lÕimplique Hanna : a-gnrique, cÕest--dire
sans genre a priori. La possibilit [2], pour la posie ou bien lÕart
demande immdiatement de rflchir soit aux raisons de son inadmissibilit,
soit en quel sens il est ncessaire de rflchir les catgories qui
peut-tre lÕÏuvre dans la perception, se construisent comme des obstacles
pistmologiques pour son apprhension et del rflchir un ensemble
de catgories rendant recevable sous le principe de leur conditionnallit
lÕÏuvre prsente. Pour saisir cela Christophe Hanna part de la conjonction
entre dÕun ct une anecdote de voyage, et dÕune discussion propos
dÕun morceau de musique Keyboard study#2 Terry Riley, de son
ennui et des raisons pratiques pour le conducteur se passer boucle
durant le voyage cette musique et de lÕautre la thorie de la perception
de lÕÏuvre prsente par Kendall Walton. Pour bien comprendre toute la distance entre Hanna et Frontier
: il suffit de dire que lÕapprciation de la pice Keyboard Study#2
est dtermine selon les conditions pragmatiques de son coute (sa
situation) au sens o lÕintentionnalit de lÕauditeur correspond des
dispositions pratiques, cognitives spcifiques. Ç La question de lÕusage
(Ç quÕen faire ? È) et de la finalit (Ç quoi a sert ? È) se prsentaient
alors comme sous-jacente tout jugement de got et mme toute apprciation
sensible È. Est interroge, comme je lÕcris moi-mme dans la note n¡5
de ma contribution : Ç la constitution des strates symboliques qui dterminent
la reprsentation du monde È. La rception du morceau de musique ne
provient pas des formes pr-tablies
intellectuellement et apprises, mais plutt de la possibilit circonstancielle
de la rception de lÕÏuvre, et donc du rapport pragmatique entre la
donation matrielle de la cration et la situation empirique [conditionne
aussi bien conomiquement, socialement,culturellement, pratiquement]
du rcepteur. Et cÕest ce que Hanna va mettre davantage en lumire en
explicitant la thorie de Kendall Walton et en dpassant son aporie
interne. Kendall Walton
encore peu connu en France, mme si on en retrouve de nombreuses mentions,
dveloppe une thorie de la relation lÕÏuvre, dans la ligne pistmologique
dÕapproche comme celle de Dewey ou de Danto : savoir quÕest-ce qui
fait quÕune Ïuvre fonctionne quant sa rception. Il dveloppe cela
parfaitement dans Mimesis as make believe. On the fondations of representational
arts (Havard University Press, 1990). Il explique dans ces pages
la diffrence quÕil y a entre la rception dÕune fiction (en tant quÕil
pose que toute cration artistique ou littraire renvoie cette dtermination)
et de lÕautre une thorie, telle celle de Darwin : ce sont les contextes
empiriques de rception qui amnent poser diffrenciellement la rception
: ainsi une assertion fictionnelle nÕest recevable que sous les catgories
que la fiction dfinit elle-mme en tant quÕelle dveloppe un univers
cohrent. De mme les assertions de Darwin se dfinissent non pas en
elles-mmes mais selon les principes empiriques et pragamatiques de
leur nonciation. La fiction fonctionne en tant que fiction la condition
que je sois dans la situation intentionnelle (la connection) dÕun faire-semblant
face lÕunivers propos, ceci permettant mdiatement la connectivit
sensible la donation et ds lors de ressentir ce qui a lieu comme
si cÕtait vrai. La thorie de Darwin implique pour sa part [et
Popper nous a sensibilis cette coneption ontologique] la mise en
relation avec le plan pistmologique de cohrence qui est le sien.
Son valuation ne dpend pas de ses critres internes, mais bien de
lÕensemble des connections avec aussi bien les autres thories, quÕavec
les dcouvertes empiriques qui vont aboutir la palontologie. De ce
fait nous pouvons comprendre, que par exemple la thorie de Darwin,
pour un rcepteur qui sÕauto-positionne pragmatiquement selon les catgories
du renouveau vanglique amricain, ne puisse tre comprise que comme
porte--faux, du fait que justement les conditions pragmatiques de sa
recevabilit ne sont pas enveloppes dans sa propre intentionnalit.
Celleci alors tant ouverte davantage aux thse de lÕintelligent
design. Nous percevons que la thorie de Kendall Walton, qui est
rsolument comprise dans le prolongement du tournant pistmologique
post-moderne, pose que la recevabilit dÕune Ïuvre se conoit selon
un ensemble de relations : 1/ dÕune part contextuelle et pragmatique
; 2/ intentionnelle et subjective. En ce sens, il faut accomplir en
quelque sorte le tournant pistmologique que prconise Dominique Lestel
au niveau de lÕthologie animale : si on pose des questions humaines
un animal : cÕest certain il parat con. Par contre si nous posons
les questions que lÕanimal nous pose lÕanimal, on entre dans la dimension
de sa propre cohrence en tant quÕtre ouvert au monde. Je pense en
ce sens que la thorie Waltonienne pourrait tre pense en tant quÕthologie
des Ïuvres, une analyse de leur manire dÕtre, dÕentrer en contact,
en relation, en connection avec un milieu. Cette thorie de Kendall Walton, si Hanna ne la rappelle
pas, lÕamne poser la question de la cration ad hoc de la
possibilit de rflchir lÕapparition dÕune Ïuvre dont nous nÕavons
pas a priori les catgories prdtermines selon un mta-discours. La posie action directe se caractrise alors selon
un principe de connexions au monde, partir non pas de lÕauto-constitution
excentre de lÕessence du potique comme reli au rel, mais comme objet
qui entre dans le jeu des flux de significations dj actives dans
lÕinscription situationnelle o elle se trouve et l se trouve toute
la pertinence de lÕanalyse que fait Hanna de Pierre Reimer ou de Julien
Blaine. Chez ce dernier, il montre en quel sens lÕoccupation des socles
pose une question politique, au sens o lÕensemble des dispositifs mis
en Ïuvre, informatif et esthtique, renvoie la possibilit dÕune mise
en sens qui se dfinit partir de vecteurs cognitifs ayant traits
la comprhension de la relation entre pouvoir politique, patrimoine
artistique urbain, et intensit du marquage de lÕart dans cet espace
gouvern par le politique. De ce fait, lÕaction de Julien Blaine ne
peut tre comprise quÕ la condition o on redfinisse les catgories
du prisme dÕobservation, ce quÕaccomplit Hanna. Mais le cas de Pierre
Reimer prcise encore davantage le propos. Il sÕagit de la destruction
de la villa Mdicis, ou plus exactement de son incendie et de la photographie
quÕa fait Reimer de cet incident. Pour dcrire rapidement le dispositif
interprtatif de Hanna : aprs avoir mis en vidence le premier geste
de Reimer, qui est de faire couper un arbre dans le parc de la Villa,
son deuxime geste tient une photographie trop parfaite de lÕincendie
pour nÕobir quÕ lÕinstantan, quÕ la contingence. Ce que montre Hanna,
cÕest que chez Reimer, est mis en question la liaison entre art, destruction,
reprsentation de la destruction de lÕart et lieu de cette reprsentation
pris lui-mme dans ce processus de destruction. Ce quÕil faut bien comprendre cÕest que chez Frontier comme
chez Hanna, apparat la ncessit de penser la nature de la rception.
Toutefois, cÕest l que Hanna diffre et ceci a des implications pistmologiques
importantes : il pose que de potologie, il est possible dÕen
gnrer, et ceci en situation, ad hoc. Ainsi ce quÕil nomme une
potologie serait la manire de reconnecter et ceci en adhrant
aux critres et catgories vhicules par lÕÏuvre elle-mme, par son
implication situationnelle et par lÕensemble des connections qui la
posent en rapport la ralit symbolique. Il est vident que ce qui
est dit l, renvoie aussi au postulat de la modernit que lÕon trouve
dÕemble avec les surralistes et la nouvelle pistmologie devant penser
cette posie nouvelle [cf. La philosophie du surralisme dÕAlqui],
ou que lÕon voit dans les analyses du groupe Tel quel, posant
thoriquement les bases de la rupture quÕils inauguraient. Toutefois,
ce qui insiste chez Hanna, et que lÕon ne voit que peu ailleurs, du
fait que cela soit davantage du ct de penses librales que lÕon trouve
cela (dÕo la tradition anglo-saxonne que Hanna traverse) que du ct
des penses ancres gauche, cÕest cette thique postulant la possibilit
de lÕactivation dÕune potologie qui pourrait tre sans cesse nouvelle,
situationnelle, afin dÕintensifier certains ordres de connections qui
nÕapparaissent pas dÕemble apparent, visible. Et ceci pour que certains
effets cognitifs, logiques, puissent oprs. Si on se demande vritablement, et ceci au sens dÕun vritable
relativisme ontologique de la constitution du sens en rapport la situation,
comment analyser, saisir, une cration aussi bien artistique que littraire,
on sÕaperoit quÕil y a
bien un certain nombre dÕobjets [faut-il rappeler quÕaussi bien la notion
dÕOLNI, que dÕOVNI ou dÕOSNI partent toujours du positionnement du phnomne
littraire ou potique en tant quÕobjet] qui ne peuvent tre saisis
par les logiques pistmologiques tablies dans ce sicle notamment
pour tablir la modernit littraire. Il ne sÕagit pas de dire que ces
thories sont caduques, ce serait une aberration au niveau pistmologique
justement, mais de poser leur domaine de comptence, de voir comment
elles tablissent leur objet et de l saisir les moyens possibles pour
justement permettre une prise en vue qui nÕtait pas encore possible.
CÕest en ce sens que se polarise encore davantage, il me semble, le
tournant dÕune forme critique post-moderne. Alors quÕest fait plutt
mention de la postmodernit dÕun point de vue pratique, de ses crations,
et au niveau des mtadiscours sur la postmodernit, ici ce quÕil sÕagit
de saisir est lÕinterstice des deux, le chanon manquant en quelque
sorte : les bases pistmologiques pour la formation de thorie postmoderne.
En quoi postmoderne : par une transversalit thorique et situationnelle,
qui tente de dterminer les modes de connectivit possibles dÕune ralisation,
en rapport avec la variation possible du sujet humain et ceci compris
dans la variation de sa situation. On peroit les diffrences : la modernit dtermine un certain
mode de connectivit de lÕÏuvre, qui repose sur une certaine dtermination
ontologique du sujet, et ceci surdterminant de fait la situation [par
une logique dÕarrachement existentiel permis par la modalit dÕaction
de la posie]. Impasse si on postule cela en tant que principes. Par contre, partir de ce tournant pistmologique post-moderne,
qui permet de saisir lÕhomme non pas tel quÕon voudrait quÕil soit [ï
dsespoir !!!] mais tel quÕil est, il est possible de voir la logique
de toucher, dÕaction, de la posie moderne comme cas particulier des
rapports dÕimpaction de lÕobjet gnral quÕon appelle posie. Certes
Hanna ne va pas jusque l, et ceci peut tre expliqu situationnellement.
Que cela soit le texte de Frontier ou bien de Hanna, tous les deux entrent
dans un jeu dialectique de dfinition, au mme titre que celui de Philippe
Castellin dans ce numro de DOC(K)S. Le texte de Frontier tmoigne dÕune
crispation thorique, posant comme acte dfensif, tout la fois martial
et magistral, un certain ordre de connectivit au travail potique.
De mme, mais autrement, Hanna se retrouve dans la position de poser
une nouvelle forme de connectivit, impliquant une forme de relativit
de la connectivit moderne. Comme Althusser en son temps lÕavait remarqu
en parlant de la place que la psychanalyse sÕtait faite par rapport
lÕarchitectonique des sciences et aux positions occupes, ds lors
quÕil sÕagit de crer une nouvelle dmarche intentionnnelle, il est
ncessaire de montrer des espaces vacants, savoir que lÕarchitectonique
constitue, lÕtait en tant quÕelle conservait certaines zones impenses.
Ce qui est bien un acte de violence critique. Le geste pistmologique
de Hanna en ce sens enveloppe une certaine forme de violence par rapport
la posie, et cÕest en cela, que psychologiquement, cela peut devenir
aussi un obstacle pistmologique [cf. Bachelard], au sens o il ne
va pas jusquÕ impliquer ses rsultats au niveau de la posie moderne,
qui est bien une certaine forme de mise en jeu pragmatique et [CÕest pourquoi, et cela sans rire, je propose lÕensemble ð en tant quÕensemble infini qui regroupe les possibilits dÕensemble P, PÕ, PÕÕ, etcÉ qui sont des ensembles dfinissant chaque fois spcifiquement des modalits potiques (matrialit, connectivit, impactualit, É)] La thorie pistmologique vers laquelle nous allons, que
cela soit Hanna, Leibovici ou moi-mme, est celle de la prise en charge
de la question de la recevabilit dÕune Ïuvre, non pas selon un ensemble
de pr-dtermination pistmologique et ontologique dfinie, mais selon
une rflexion impliquant la ncessit dÕune enqute des processus
chaque fois singulier, impliqu par une cration. CÕest en ce sens que
pour ma part je ne peux suivre ce que dit Castellin dans son article,
mme si pour une part nos positions se rejoignent sur bien des points.
En effet, alors que Castellin met en critique certaines conditions ontologiques
de la dfinition de lÕÏuvre, reste quÕil est encore hant quant la
question de la rception par la sensibilit du sujet : Ç LÕeffet potique
est prouv, il est de lÕordre non pas du jugement thorique ou historique
mais de ce qui est ressenti et, analysable ou pas, non ncessairement
analys È. Comme je lÕai dvelopp dans mes articles mettant en vidence
la variation qualitative des impactualits, il est ncessaire dÕinsister
sur le fait que la perception pistmologique qui mÕintresse ici, cÕest
celle qui pose au mme niveau, horizontalement et donc sans hirarchie,
ce que jÕappelle les impacts cognitifs, les impacts sensibles, qui sont
des modalits dÕaffects. Les impacts cognitifs, il est vident quÕils
ne sont pas prouvs, mais quÕils sont comprhensibles en tant quÕils
enclenchent chez le rcepteur une dmarche thorique dÕanalyse, qui
tmoigne de son intrt. Alors que neuro-linguistiquement, il est notable
que lÕimpact sensible, et son affect li, est exprim, par Ç cela me
plat È, Ç jÕaime bien È, en tant que ces expressions connotent lÕunit
intuitive dÕune motion sensible, neuro-linguistiquement, lÕimpact cognitif
sera tmoign par un Ç cela mÕintresse È, Ç cela me
fait penser È. Ici aucun privilge de lÕun sur lÕautre, mais seulement
la ncessit de rflchir chaque fois aux conditions impliques dans
une ralisation, afin de pouvoir penser dÕune manire ad hoc, la thorie
possible intensifiant la connectivit de lÕÏuvre ce vis--vis de quoi
elle prtend se connecter. CÕets pourquoi contrairement Castellin,
et en cho Hanna, je pense que rflchir selon les conditions de constitution
pistmologique de lÕensemble , exige dÕen finir de la dualit posie/science,
ou encore cognifif/sensitif. Ce qui mÕamne conclure sur la question non pas de la rflexion pistmologique, mais de la diffusion et de la production de ces types de travaux. Il y a de cela quelques jours, au tlphone avec Hanna, je lui tmoignais dÕune certaine forme de solitude par rapport nos pratiques, solitude non pas seulement accidentelle, mais qui est implique aussi par le type de rflexion mise en Ïuvre par les crations qui nous occupent. Donc, je le souligne non pas solitude pathologique dont certains se plaignent, qui taraudent leur ego et qui crient quÕil leur faut des amis [cÕest drle my space pour cela], mais solitude causalement implique par une dmarche causant un important dtachement social : celle de la construction comme je lÕnonce depuis 2000 de pige con [pour comprendre cela cf. Les transformateurs Duchamp de Lyotard, et la cration web [Petites annonces] de LÕAgence_Konflic_SysTM, entre autres] exigeant un excentrement tout la fois relationnel que de diffusion de la production [cf. lÕexprience Sarkozyprsident2007.com de lÕA_K_S, et du travail de trolling dans la blogosphre, cette production pour sa diffusion ne pouvait appartenir au milieu de la posieÉ]. Cette solitude est implique au sens o ce qui est mis en Ïuvre ne tient pas la cration dÕune inter-subjectivit sensible relie la posie et une certaine forme dÕontologie du sujet (ce qui a lieu avec la modernit, avec les impacts affectuels sensibles, dÕo certains phnomnes dÕengouement, de rptition ou dÕimitation que lÕon voit en France par exemple autour de Charles Pennequin), mais dÕune dmarche de cration dÕimpacts cognitifs penss selon certaines segmentarits symboliques et certaines dterminations catgorielles qui imposent des contextualisations htrognes avec toute dimension apriori potique. Solitude ainsi du pas en arrire et de la proposition dÕobjets qui a priori sont en effet irrecevables aussi bien 1/ par la tradition potique [il nÕy a quÕ voir o en sont les revues de posie, DOC(K)S ou Talkie-Walkie dÕHortense Gauthier font bien exception dans le paysage actuel (et ceci aussi bien au niveau des revues papier que sur le web) 2/ par les institutions qui accompagnent la diffusion (quoi que par exprience, tant programmateur, et tant appel rgulirement pour conseiller certaines institutions, je mÕaperois que la rception est meilleure dans des dimensions extra-potiques que potique). Et si cela pose une certaine solitude dans la production, cela aussi a des consquences au niveau ditorial : comment diffuser ces pratiques ? Le texte de Laurent Cauwet dans DOC(K)S, lÕune des rares maison dÕdition avoir dfendu ce type de dmarche avoir accept des modalits de diffusion totalement htrogne avec la logique ditoriale, avec actuellement še dÕEric Arlix, prophtisait dj le dpt de bilan, la fin [ voir ?] de cette aventure. Quel statut de diffusion pour ces expriences dÕobjet, qui de par ce quÕils impliquent, sont assez souvent htrognes lÕdition classique [tel par exemple War-Z actualit que jÕavais accompli en 2003, qui nÕavait de sens que dans sa dimension directe dÕun spampoetry internationnal et qui au niveau de sa rception demandait bien videmment la cration directe, ad hoc de sa thorie ce que je fis dans lÕarticle hackt¡ theory publi par DOC(K)S] ? Car il est bien vident, que par derrire se pose bien Ñ et ceci aussi bien subjectivement quÕobjectivement Ñ la question de la conservation, de la trace de ces pratiques, et de la possibilit de leur saisie thorique. Au lieu de penser un systme ditorial conventionnel, ne
faudrait-il pas rflchir davantage un label [notion dterminer
en sa ralit empirique et pragmatique], enveloppant synthtiquement
alors cette pluralit de dmarche tout aussi bien productive que thorique
? CÕest, je crois, ce vers quoi nous irons, pour un certain nombre.
Arras, le
26 octobre, 2006. |