Pop Littérale / Rock vs. Littérature

Rock ‘N Roll Saved My Life (- Tu extrapoles ton tir)

(ou comment le rock

se connecte à la littérature expérimentale

pour la perturber un peu).

 

Il y a un jeu que tu sais assez drôle à pratiquer si on aime autant le rock, la pop que la littérature. C’est un jeu sur le rapprochement rock et littérature, sur l’interchangeabilité imaginaire des deux. Pour jouer, il s’agit de trouver et de déterminer les analogies esthétiques et les correspondances de positions (symboliques, réels ou imaginaires) entre les écrivains et les musiciens. Pour vous en donner une idée précise et délirante, voici quelques exemples (là tu es resté dans une sphère très franco-française, on n’y est, selon toi, bien sûr, pas du tout obligé).

 

Ex 1. Ce que fait Chloé Delaume, c’est pourrait-on dire assez proche de ce que pourrait faire une artiste (un peu bitchy) comme Peaches ou un groupe féministe comme Chicks On Speed, c’est à dire : mélange d’électronica dansante et d’electro-rock hype et d’attitude avant-gardiste mais qui a une large audience dans les magazines branchés et les clubs (surtout parisiens) et qui est sur un label hype et moderniste (Verticales).

 

Ex 2. Jérôme Bertin, lui ferait plus une sorte de rock gothique bien sombre et décadent mixé avec des sons industriels, du genre Ministry meets Marylin Manson ou Christian Death (époque Rozz Williams), c’est à dire une poésie saturée d’images bien crades et obscènes flirtant avec l’esprit punk et la série Z, la science-fiction utopique et le grand guignol sur un label indé (Al Dante) puissant et respecté.

 

Ex 3. Mehdi Belhaj Kacem : Ce pourrait être Tricky, un artiste hors-norme touche-à-tout avec une large dévotion pour le hip-hop bancal et le rock indépendant mais le côté théorique de MBK le rapprocherait plutôt d’une autre grande figure majeure du hip-hop abstrait et politisé mais, cette fois, théorique (avec le côté porte-parole d’une génération en plus) : Dj Spooky. Sans compter que MBK est sur un gros label indépendant à haute diffusion (Tristram) comme Spooky que l’on retrouve sur divers gros labels et remarquer que ce qu’il fait, dans sa constante explosion des formes, n’est pas, de prime abord, très grand public, mais plutôt destiné à un public d’initié (comme Spooky qui est bien plus connu des lecteurs de Wire que de Technikart, quoique…).

 

Ex 5. Lucien Suel est le poète le plus rock et le plus mésestimé que nous ayons en France car non seulement il joue dans un groupe de free noise Pötchuk que personne n’a vraiment écouté (un album auto-édité et hyper foutraque à ce jour) mais son écriture est et fut toujours farouchement influencée et informée par le rock, le punk ou le free-jazz (selon les saisons : de Patti Smith à Richard Hell en passant par Gong, Soft Machine ou Sonic Youth). Suel, ce serait donc du rock, du rock noisy voire du bricolage bruitiste et free, défendu & soutenu par l’underground le plus moderne (et le plus branché) et par de tous petits labels indés rhizomorphes très peu connus du grand public. Il fait aussi figure de passeur et de découvreur monstre de la jeune scène poétique à travers ses nombreuses revues-compilations. Il ferait un rock assez punk assez noise mais bien garage en fait : je dirai comme ça Swell Maps, pour le côté garage ou Wire, mais ce serait de toute façon un groupe venant du grand chambardement punk et qui aurait rompu esthétiquement avec les formes réacs du punk-rock à trois accords, donc un groupe éminemment post-punk mais qui officierait toujours aujourd’hui : Swell Maps n’officie plus en tant que groupe, Wire, si, mais la démarche formaliste de Suel n’est pas aussi avant-gardiste que celle de Wire (qui, eux, ont fait carrément table rase du rock des 60’s et des 70’s dans leur trois premiers disques ultra séminaux). Même s’il se réclame de la Beat(en) Generation, du chanteur des Fugs ou de William Burroughs, et même si cette rupture existe bien dans ses premiers textes cut-ups et samples (Sombre Ducasse), il serait plutôt une sorte de poète néo-classique halluciné et franchement hallucinant pour son travail de travailleur patient, acharné et bricoleur (je dirai aussi bidouilleur) de la langue (inspiré en ce sens par Bloy et toute une série d’inventeurs fous et bruts). The Fall serait en fait le plus simple et le plus pertinent des groupes à citer tant l’homologie semble (presque) parfaite, c’est à dire, tant l’aspect travailleur de l’ombre, mastodonte forcené qui n’a jamais joué le jeu de la mode musicale est importante chez les deux artistes (Mark E. Smith : rockab quand tout le monde était cold-wave et krautrocker quand tout le monde était new-wave / Suel : beat quand tout le monde était lyrique, lyrique quand tout le monde est beat). Il faudrait ajouter également le fait qu’ils sont tous les deux complètement mésestimés et par le public et par la critique bien qu’ils publient beaucoup (au moins 25 disques pour The Fall et presque tout autant de livres pour Suel dont certains non-publiés) toujours sur de tout petits labels qui les publient régulièrement mais confidentiellement et que la qualité est souvent au rendez-vous. Mark E. Smith, le frétillant leader et presque unique membre de The Fall, est vraiment comme Lucien Suel, un travailleur puissamment underground continuant sans coup férir son fracassant bonhomme de chemin en publiant presque un disque par an dans l’indifférence la plus totale mais dans la pertinence la plus grande. Et puis The Fall est une des grandes influences des tout nouveaux groupes en « The » néo-post-punk qui émergent actuellement des magazines. Tout comme Lucien Suel en fait…

 

Ex 6. Maurice Dantec, lui, n’a jamais caché ses penchants pour la musique (il a même fait un disque de musique industrielle-ambiante avec le vétéran deleuzien Richard Pinhas sur le label d’avant-garde Sub Rosa). Comme c’est un romancier connu qui vend pas mal, il faut rechercher un gros truc, très rock, puisque c’est dans le rock (et même souvent le métal) que l’on va retrouver les thèmes et les grands figures danteciennes. Au début j’ai pensé à Killing Joke, le problème c’est qu’ils sont cultes mais qu’ils ne vendent pas assez de disques pour ce qui nous occupe. Ça pourrait être Ministry, mais pareil, pas assez gros pour représenter symboliquement Dantec en France. Il faudrait chercher dans le cercle dans lequel gravite des personnalités assez proches du style anticonformiste de Dantec comme Martin Atkins, Jah Wooble, Chris Connely ou Bill Laswell. Quelque chose de fou, de dingue, de sombre, de violent, un mélange très moderne d’électro et de grosses guitares… Mais oui bien sûr : Nine Inch Nails ! ça y est Dantec c’est Trent Reznor ou à peu près. Le côté gauchiste en moins et l’apocalypse maintenant en plus. Ceci dit, me dit Lise, Ministry, ça marche aussi…

 

Ex 7. Charles Pennequin, ce serait les Béruriers Noirs remixés par Suicide. C’est à dire, un rock électronique barré et macabre assez réaliste dans son constat morbide sur le monde (Porcherie vs. Frankie Teardrop). Ce pourrait être dans une veine plus moderne le rock bancal de Stupeflip, rock électronique lorgnant vers le hip-hop et la mauvaise blague cynique et tonitruante. Je pense assez que si Pennequin faisait de la musique, il ferait ce que fait Julien Barthélémi (le savant fou sautillant de Stupeflip), un rock barge, punk, électronique, en mode rap et cri, en mode débile et fou rire communicatif, un rock de série Z à faire crisser le bobo et à faire pleurer le rappeur, à terme, peut faire aussi, dans le même sillon minimaliste, du Jean-Louis Costes.

 

Ex 8. Pour Houellebecq, ça va être un peu plus dur. Mais là on est carrément dans la variété d’obédience pop-rock-qui-passe-sur-Europe 2. Chiffre de ventes oblige. Alors Goldman ou Obsipo ? Il y a tout de même son côté provocateur et sa branchitude exhibée (sortir un disque produit par Burgalat est un acte de branchitude assez exposée) qui le fait irrémédiablement basculer dans le camp du rock. Mais qui ? Déjà, c’est désenchanté, Schopenhaurien, et prompt au scandale. Donc pas hyper grand public a priori. Un style assez lisse mais ça ne veut pas dire non plus qu’il n’y en ait pas, désenchanté, scandaleux, qui fait fuir la bonne conscience bobo, oui ça, on l’a déjà dit mais bizarrement super écoutable en fait pour le tout-venant mais aussi bizarre que cela puisse paraître, aimé que des branchés ou des bobos lettrés. Mais là je sèche un max. Ça pourrait être U2, mais il y a trente mille écrivains très importants et américains genre Roth qui pourrait être U2. Et puis Bono est trop chrétien pour être Houellebecqien et Houellebecq n’a pas encore écrit la plus belle chanson des année quatre-vingt « With or Without You ». Disons alors : The Cure. Le problème c’est que The Cure ce n’est pas très lisse, c’est même hyper strié formellement (Houellebecq n’est pas encore du niveau de « Pornography » - quoique parfois il s’en rapproche)…………………………

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N’hésitez pas alors à me contacter par mail à sylvaincourtoux@hotmail.com pour me donner vos idées. Elles seront les bienvenues [1] .

 

Ex 9. Emmanuel Rabu, ce serait plutôt, lui, la rencontre entre une certaine froideur électronique et branché de la musique de recherche « post-digital » (label Mille Plateaux par ex. ou Raster Noton ou encore un artiste comme Ryoji Ikeda) et la chaleur pop (car lui même s’inspire de la culture populaire dans ses textes : Rock, Bd, cinéma de série b ou z etc.) d’un rock bardé d’électronique comme peut en proposer des labels comme Kitty-Yo ou Mego voire Warp (pour Battles), mais qui nous renvoie directement au travail magistral de Christian Fennesz sur les Beach Boys et à son sublime « Endless Summer » qui en découle, mix parfait de la froideur des clicks & cuts électroniques et de la chaleur de la guitare électro-acoustique. 

 

De tout façon, c’était pour vous montrer comment jouer…

 

Interrogation :      Ex 9. : Manuel Joseph (5 minutes)

                           Ex 10. : Rodrigo Garcia (15 minutes)

                           Ex 11. : Sonic Youth (10 minutes)

 

 

 

 



[1] Julien d’A., dans un récent mail, me propose Bashung. Et ça le fait pas mal en fait. N’oublions surtout pas que Bashung a fait un superbe album en 89 (« Novice ») avec la crème de l’avant-garde post-punk: Blixa Bargeld de Neubauten et Colin Newman de Wire.

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