Panorama
de la poésie numérique
: Vers une écriture
verbi-voco-visuelle
Notre propos est de considérer la poésie
expérimentale dans son rapport à la “technologie”
depuis le Coup de Dés de Mallarmé à Apollinaire
(Les Idéogrammes lyriques de 1914), aux cubo-futuristes
russes, liés, et ce n’est pas un hasard, à un des
fondateurs de la linguistique, Roman Jakobson, jusqu’à
ses développements aujourd’hui à travers l’utilisation
d’autres média (ou technologies) que l’imprimerie,
la bande magnétique, l’hologramme et l’ordinateur,
ce que pratique un poète contemporain brésilien comme
Augusto de Campos. Cela pose le problème à la fois de
la véritable poésie au XXe et XXIe siècle et celui
d’un langage non typographique (icônes, images animées,
bruits), ce qui renvoie notamment aux origines pictographiques du langage
il y a 3500 ans avant Jésus-Christ (1). Donc un langage verbi-voco-visuel
(mots-sons-images), expression employée d’abord par Joyce,
puis par McLuhan au milieu du XXe siècle.
D’un point de vue historique, le Coup de
Dés de Mallarmé, 1897, dont les concrétistes
brésiliens soulignent l’importance. Qui n’est ni
un poème en prose ni du vers libre. Qui est une partition, et
en même temps un poème figuré (le naufrage, la constellation).
McLuhan y pointe l’influence de la presse quotidienne et Georges
Rodenbach relate l’enthousiasme de Mallarmé pour l’affiche
publicitaire à cause de sa typographie : “Avec des lettres
grasses qui s’imposent et entrent d’elles-mêmes dans
les yeux, des italiques qui courent en chantant, des minuscules qui
orchestrent et qui l’accompagnent comme un choeur. Ainsi la typographie
nuancerait la pensée comme d’une sorte d’intonations
imprimées” (2). On peut aussi renvoyer à cette réflexion
curieuse de Mallarmé datant de 1898, l’année de
sa mort, en réponse à une enquête sur le livre illustré
: “aucune illustration, tout ce qu’évoque un livre
devant se passer dans l’esprit du lecteur; mais si vous employez
la photographie, que n’allez-vous droit au cinématographe,
dont le déroulement remplacera, images et textes, maint volume,
avantageusement”. Donc déjà l’idée
d’une écriture verbi-visuelle.
Toujours d’un point de vue historique, rappelons
non pas les Calligrammes, mais les Idéogrammes
lyriques d’Apollinaire qui paraissent dans le n°25
(juin 1914) et 26 (juillet-août 1914) des Soirées de
Paris. Rappelons que le ZANG TUMB TUMB de Marinetti ne paraîtra
qu’en octobre 1914. Apollinaire envisageait d’en faire une
publication dès 1914 sous le titre “Album d’idéogrammes
lyriques et colorés”. La maquette de ce livre curieux se
trouve à la bibliothèque Jacques Doucet. D’une manière
prémonitoire, dans sa dernière conférence sur l’
“Esprit nouveau” le 26 novembre 1917, il évoque les
possibilités du phonographe et du cinéma pour une poésie
du futur : “(Les poètes) veulent enfin un jour machiner
la poésie comme on a machiné le monde”. Où
il faut souligner le terme “machiner”, qui renvoie au machinisme
de l’ère industrielle.
Reprenant la formule attribuée à Marshall
McLuhan, “Le médium est le message”, écrit
en fait dans Counterblast en 2 mots séparés, “mess
age”, “l’âge du désordre”, et en
réalité le titre de son livre est “The medium is
the massage”, l’emploi d’une technologie autre que
celle de l’imprimerie (“print technology”), qui privilégie
la vue, n’est pas neutre. C’est le cas avec la bande magnétique,
dont l’utilisation sera à l’origine de la “Poésie
Sonore”, ou plutôt de la “Poésie exclusivement
sonore” pour reprendre la formule de Dufrêne dans le manifeste
de l’Ultra-Lettrisme paru dans la revue GrâmmeS n°2
en juin 1958, pour ne pas créer de confusion avec ce que les
anglo-saxons appellent la “reading poetry” ou l’oralité
d’une manière plus générale. Donc une poésie
non transcriptible sous forme typographique, pour Dufrêne le cri-rythme,
mais on pourrait aussi évoquer le “mégapneume”
de Wolman ou les dernières pièces d’Henri Chopin,
comme ces “Stridences de l’aurore boréale”
de 2003, une réalité intranscriptible avec les moyens
de l’écriture alphabétique. Ce qui en même
temps renvoie à une réflexion sur les limites du langage
telle qu’on peut la voir dans l’oeuvre de Wittgenstein au
début du vingtième siècle. La jeune génération
va reprendre à partir de 2000 avec les moyens de l’ordinateur
portable ce qui a été fait avec le magnétophone,
on peut citer Joachim Montessuis qui anime le label “Erratum”,
et qui utilise dans ses performances le logiciel Max/MSP créé
par l’IRCAM.
Une autre forme de poésie basée sur
un autre médium que le papier est la vidéopoésie,
qu’un Enzo Minarelli a développé en Italie, avec
notamment “Volto Pagina”, qui date de 1985. En 2005, Philippe
Boisnard va reprendre ce concept de vidéopoésie avec les
moyens du numérique, ce dont témoigne ce data_history_X,
poésie numérique aléatoire à base de séquences
de vidéopoésie, “dédale de données
qui s’entrelacent, se répondent mais aussi se séparent
en des trajets distincts”.
Avec la technologie de l’hologramme s’est
développé, entre les années 1978 et 1993, le poème
hologramme, simultanément aux Etats-Unis et au Brésil.
Aux Etats-Unis, ce sera Richard Kostelanetz, au Brésil Eduardo
Kac, Augusto de Campos et Décio Pignatari. Celui qui a le plus
écrit sur les implications théoriques par rapport au langage
est Eduardo Kac, qui à partir de 1987, utilise, pour ses “holopoèmes
fractals”, l’ordinateur. Il parle d’ “holopoésie”
et d’immatérialité du texte avec l’apparition
/ disparition de celui-ci en fonction du déplacement du spectateur.
“Instabilité textuelle” qui s’oppose à
son inscription pour l’éternité sur la page du livre.
Avec les média photoniques, le mot est libre des contraintes
de la surface. Donc fluidité discontinuité, interactivité.
“Signe fluide” qui ne serait ni un mot ni une image, et
Kac introduit d’ailleurs des fragments d’images dans certains
holopoèmes comme “Astray in Deimos”, “Perdu
sur Deimos”. Donc un “langage animé qui fuit et renvoie
comme un déflecteur (“deflects”) l’information”.
L’ordinateur. Le premier essai littéraire
remonte à 1959 avec Theo Lutz, un élève de Max
Bense, déjà avec de la génération de texte,
à partir des 100 premiers mots du Château de Kafka,
ce qu’il appelle lui “autopoem”, Theo Lutz avec lequel
nous avons échangé toute une correspondance. Dans un texte
de 1970 intitulé L’ordinateur “poète”,
Théo Lutz explique qu’il utilise un processus basé
sur le hasard appelé par les mathématiciens processus
Markov, où il y a d’abord codage, puis recherche aléatoire
et enfin impression sur imprimante. Je le cite : “Les textes de
l’ordinateur poète... nous font clairement penser au texte
original”. On peut citer aussi Georges Pérec, créateur
en 1966 du P.A.L.F. ou “Production Automatique de Littérature
Française” avant l’OULIPO créé à
l’occasion du projet des “Cent Mille Milliards de Poèmes”,
et deux livres de réflexion sur le sujet, en 1970 “Computers
for the arts” du poète visuel américain Dick Higgins
avec production d’un “computer poem” avec James Teeney,
“Hank and Mary, a love story” et en 1971 “Cybernetics,
art and ideas” de Jasia Reichardt, l’organisatrice de l’exposition
“Cybernetic Serendipity” à l’ICA à Londres
en 1968, avec une section consacrée à la poésie
par ordinateur. Nous ne ferons pas un historique des années 1960
- 1980, parce qu’il y a eu un premier colloque “Poésie
et Ordinateur” organisé à l’initiative de
Philippe Bootz à Lille III en 1993 et un autre colloque “Littérature
et Informatique” à l’initiative d’Alain Vuillemin
en 1994 à Paris VII, avec à chaque fois publication d’un
livre. Citons néanmoins quelques noms, Emmett Williams, Nanni
Balestrini en 1961 et 1963, et au Brésil Erthos Albino de Souza
pour un poème en langage Fortran de 1976 et Silvestre Pestana
pour un poème de 1981 dédié à Henri Chopin
sur ordinateur Sinclair ZX-81. Et souligner aussi le rôle et l’importance
de la revue sur disquette Alire de Philippe Bootz comme lieu
de rencontre international.
Mais le véritable démarrage va se
faire à partir de 1983/84 avec la diffusion du PC, l’ordinateur
personnel, dans la mesure où auparavant le poète était
dépendant de techniciens et où les ordinateurs appartenaient
à des institutions, ministères ou banques. On peut comparer la révolution de l’Ordinateur
Personnel ou PC avec celle du Livre à la Renaissance, comme le
souligne Timothy Leary. Le Livre, qui est la grande préoccupation
de Mallarmé. Le livre fabriqué en série, donc premier
objet industriel. Le livre portable, LP, comme on peut parler de l’ordinateur
portable, OP ou PC (Personal Computer). Ce qui caractérise l’ordinateur
par rapport au livre, c’est que le code 1-0 permet de coder le
son et l’image, dont le texte qui est de l’image, donc deux
sens, alors que depuis Gutenberg, tout le savoir passe par le filtre
de la vue, qui est un sens abstrait, de mise à distance (la perspective
dans la peinture de la Renaissance, le point de fuite). Privilégiant
la typographie, le livre favorise la fragmentation du savoir, la spécialisation,
nous ajouterons l’idéalisme. La mise en ligne typographique,
comme le souligne McLuhan, c’est la logique de la démonstration,
c’est le travail à la chaîne, c’est la ligne
du Parti. Le “Cogito” de Descartes est parallèle
à la diffusion du livre au dix-septième siècle.
Cela culminera avec le “Igitur” de Mallarmé.
Une des applications premières de l’ordinateur
par les écrivains, c’est, comme nous l’avons vu,
la génération de texte, et ce, dès Theo Lutz. Est-ce
que l’usage de l’ordinateur change quelque chose aux pratiques
textuelles? Là, nous nous inspirerons d’une interview réalisée
en novembre 1986, donc très tôt dans l’histoire de
l’Ordinateur Portable, avec Jean-Pierre Balpe, qui a beaucoup
développé la génération de texte et qui
est un des fondateurs de l’ALAMO. C’est lui qui a développé
un logiciel de “rengas” pour l’exposition “Les
Immatériaux” au Centre Pompidou en 1985. Je le cite : “Mon
idée de base est qu’on va faire de la littérature
non pas par analyse, mais par simulation”. Une autre expérience
développée par lui est “La bibliothèque du
futur” en 1986 au Centre Pompidou. L’idée était
d’avoir une bibliothèque en bases de données à
partir de Jules Verne, de Maupassant, ou de Zola. Chaque bibliothèque
est un univers qui est décrit par des étiquettes, par
exemple lieux, météorologie. Ou par l’introduction
d’un personnage dans un café. Selon lui, le logiciel avait
une partie intelligente qui disait que je ne pouvais pas faire pleuvoir
dans l’escalier, et bien sûr le vocabulaire était
trié chez l’auteur sur des bases statistiques. Et l’on
pouvait produire ainsi une fausse page de Jules Verne ressemblant à
s’y méprendre à du vrai Jules Verne. Cela fonctionne,
ce qui montre que la syntaxe, la grammaire n’est pas un problème
pour l’ordinateur, alors que cela a focalisé toutes les
recherches dans les années 1970 à travers les grammaires
génératives. Par contre le problème soulevé
par Jean-Pierre Balpe était celui de la gestion des univers,
qui est évident pour nous, compliqué pour la machine.
“La marquise sortit à cinq heures”. Sortir d’où?
D’une trou de souris? Pour nous, c’est clair qu’elle
sort d’une maison. Alors que c’est très compliqué
pour le générateur. Ou la notion de table. Pour nous il
est évident qu’une table repose sur un sol dur. Pas pour
l’ordinateur. Donc en fait la difficulté est au niveau
de la sémantique, pas au niveau de la grammaire. Nous, nous basculons
constamment d’un univers à l’autre. Pour éclairer
cette notion d’ “univers”, on peut citer ce texte
de Philip K. Dick, l’auteur de science-fiction : “J’ai
le sentiment profond qu’à un certain degré il y
a presque autant d’univers qu’il y a de gens, que chaque
individu vit en quelque sorte dans un univers de sa propre création”.
Et nous, nous basculons constamment d’un univers à un autre.
Et l’ordinateur ne sait pas le faire. Ce qui explique les problèmes
de traduction, que l’ordinateur ne sait toujours pas faire, sauf
pour des textes techniques.
Un autre problème évoqué par
Jean-Pierre Balpe au niveau de la génération de texte,
c’est celui des unités sémantiques élémentaires,
ou unités de sens. Quels sont les fragments de phrases en-dessous
desquels on ne peut pas aller? Par exemple, si on dit : “A cinq
heures et demi, il pleuvait”, on peut découper ce fragment
en deux sous-fragments : “à cinq heures et demi”,
c’est un élément exploitable, et “il pleuvait”,
c’est aussi un élément exploitable. On ne peut pas
couper en-dessous. Comment définir ce type d’unités?
On voit que cela n’a plus rien à voir avec la structure
syntaxique de la phrase. Donc on passerait d’une étude
linguistique par simulation, à partir de la capacité de
la machine de produire du texte, au lieu d’une étude par
intuition, a posteriori, comme on la pratique actuellement, à
base de longues théories abstraites dont personne n’a les
moyens de déterminer si c’est juste ou faux. L’informatique,
elle, permet de vérifier, comme en physique, si une théorie
est juste ou non. Par exemple les grammaires génératives
et transformationnelles sont trop sophistiquées, et de fait,
elles sont inprogrammables. Et un des critères de la scientificité,
c’est quand même la reproductibilité d’un phénomène.
La limite avec l’ALAMO, c’est qu’on
n’obtient jamais que des pastiches. De Mallarmé, de Stendhal,
de Jules Verne. Même si la génération de texte pose
des problèmes intéressants pour les linguistes, avec cette
possibilité qu’elle a de produire du texte correct grammaticalement,
et aussi autour de la fonction auteur. Mais qu’en est-il au niveau
prospectif, au niveau d’une création littéraire
au vingt-et-unième siècle?
L’ordinateur, en tant que technologie appliquée
au langage, avec son codage 1-0 qui permet de coder indifféremment
2 sens, la vue et l’ouïe, au lieu d’un seul, réalise
le rêve de Raoul Hausmann, l’Optophonétique. Le dadaïste
berlinois, l’inventeur du Poème phonétique, a même
déposé un brevet à Londres en 1934 pour une machine
permettant de passer du son à l’image et de l’image
au son, qu’il a appelé Optophone, ce qui a fait l’objet
d’une publication de notre part dans Art Press et dans
Leonardo. Opto et Phoné. Vue et voix. Image et son. Mais
le mot, c’est aussi une icône. D’où verbi-voco-visuel.
Le mot, la voix et l’image, fixe ou animée. Nous-même,
depuis 1983, travaillons sur ce paradigme, en liaison avec Guillaume
Loizillon, à partir des premiers ordinateurs portables, DAI Personal
Computer, Atari, sur l’idée de texte infini, de texte produit
par la machine avec des variables aléatoires, à partir
d’unités de sens, d’abord avec des mots, puis en
y ajoutant des images, puis de courtes séquences d’images
animées qui font blocs de sens, et enfin des fragments sonores
samplés, mis en boucle, qui fonctionnent là aussi comme
des blocs minimum de sens. Par exemple le son du soleil capté
par le satellite Soho. La première manifestation publique a eu
lieu pour une Revue Parlée au Centre Pompidou en 1998. Donc le
hasard, si cher à Mallarmé et à Cage, et le texte
infini, ce que permet la machine, l’ordinateur. La limite, c’est
la mémoire du support, d’abord disquette, puis CD-ROM,
puis DVD-ROM, avec les problèmes théoriques de ce qu’est
la mémoire biologique et la mémoire informatique. L’i-
poésie ou poésie internet, l’i-littérature
pourrait être une réponse. Dans le temps et dans l’espace.
L’oeuvre pourrait devenir véritable “work in progress”,
en mutation constante, réalisant le rêve du Finnegans
Wake de Joyce dont nous n’avons qu’un état à
un point donné ou le projet d’Aragon de roman infini. Et
l’oeuvre pourrait aussi s’étendre dans l’espace,
à l’infini, intégrant texte, images et sons, au
sens d’une sémantique généralisée.
Depuis 2000, toute une nouvelle génération
de jeunes poètes s’est emparée de l’outil
informatique, sur la base de la manipulation de l’information,
donc de la notion situationniste de détournement. Détournement
et informatique. Voulant marquer cette nouvelle situation, nous avons
eu l’idée de publier un manifeste en ce début de
XXIème siècle, comme Marinetti au début du XXème
siècle, ce que nous avons fait en 2002 dans Art Press
sous le titre : “Terminal Zone Manifeste pour une poésie
numérique”, n’oubliant pas d’y citer le grand
poète brésilien travaillant sur ordinateur Augusto de
Campos, mais aussi de jeunes poètes, comme Philippe Boisnard.
On peut considérer qu’un corpus d’oeuvres est en
train de se constituer depuis le 1er CD-ROM de 1997 Alire/Doc(k)s
jusqu’au dernier CD-ROM d’Alire et au DVD-ROM du
Doc(k)s Nature n°34/37 de 2005, et là il faut souligner
le travail de Philippe Castellin, et autour du label Son@rt,
qui a édité en 2003 le 1er DVD de poésie performance
et/ou nouvelles technologies, dont la technologie du numérique.
Sur le plan théorique, il faudrait aller
jusqu’au bout : Dire que l’image peut fonctionner comme
un mot, et que le bruit, au sens cagien du terme, peut lui aussi fonctionner
comme un mot, ou plutôt comme une “unité de sens”,
comme l’avait évoqué Jean-Pierre Balpe. C’est
le point où nous en sommes de nos réflexions. Donc, avec
le médium ordinateur, on pourrait imaginer une écriture
véritablement verbi-voco-visuelle, texte-son-image, dont avait
rêvé James Joyce dans les années 1930, ce qui mettra
peut-être 50 ans. Mais il faudrait redéfinir le fonctionnement
de ce qu’on ne peut plus vraiment appeler “mot” au
sens ordinateur du terme.
Avec la révolution numérique, c’est
la fin de l’inscription, d’abord dans la pierre, puis sur
le papier. Incidemment, la psychanalyse, fondée sur la notion
d’inconscient, est apparue à l’apogée de la
notion de Livre, en 1998, l’année d’après
le Coup de Dés de Mallarmé. Le livre suppose une
inscription sur la surface de la page, donc le conscient, et l’idée
d’inconscient est liée à la culture du livre, de
ce qui est exclu de la surface de la page. Le livre, c’est aussi
la sacralisation du texte, le texte sacré, avec les 3 livres
des 3 religions révélées, et ses succédanés,
comme le Capital. Le livre, c’est aussi le texte identifié
à la loi. L’emploi d’autres technologies que celle
de l’imprimerie nous rend conscient du formatage, de la violence
faite au langage par sa distanciation, sa mise en ligne ou en ordre
(idéologique) à cause de sa réduction à
la typographie.
Et l’on pourrait terminer en citant le titre
d’un poème numérique d’Augusto de Campos,
“Doors of eyear”, “Portes (ou portique) de l’oeiloreille”,
donc les deux sens principaux, poème interactif produit à
l’ordinateur et consultable sur CD-ROM, à partir d’un
portique d’idéogrammes japonais, avec déclenchement
de sons correspondant à des mots clés ou sources.
Jacques DONGUY
(1) L’abstraction du pictogramme
en écriture cunéiforme est due sans doute au problème
de la traduction, ou l’utilisation d’un même signe
pour transcrire 2 langues. (2) In “L’amitié
de Stéphane Mallarmé et de Georges Rodenbach. Lettres
et textes inédits 1887-1898”, Genève, Pierre Cailler,
1949, p. 126.
- Ce texte est la transcription de notre participation à
un colloque à la Bnf (Bibliothèque nationale de France,
site François Mitterand) organisé par Jean Clément
(Paris VIII) le 17 novembre 2005 sur le thème : “Contrées
de la poésie numérique”.
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