ART ET VIE QU'ONT FONDU (Charles Dreyfus)
Comment ne pas croire pouvoir vivre éternellement au jour le jour. Cet art de vivre pourtant, pour moi, est devenu un leurre. Me voici obligé de vivre à présent, au présent, à la seconde près, de seconde en seconde. Mallarmé déjà, dans sa préface à Un coup de dés, explique qu'il scande du mouvement. Il neutralise à sa manière l'opposition classique 'spatial' et 'temporel' dans sa tentative de privilégier le signifiant pour le signifiant.
Marinetti, lui, prône la destruction de la syntaxe assis sur le cylindre à essence, le ventre chauffé par la tête de l'aviateur. L'espace vu d'avion le pousse à remplacer la psychologie de l'homme par l'obsession lyrique de la matière. D'autres ruptures suivront…Dada n'est pas mort, il est enterré.
Le
22 juin 1963 j'étais l'un des 150000 jeunes, Place de la Nation à
Paris avec Johnny et les autres chanteurs yéyés. Hallyday avait
20 ans, moi seize. Le lendemain la presse des vieux se déchaîna.
On compara l'événement à la montée du nazisme.
En fait une astucieuse affaire de tiroir-caisse, peut-être, sûrement,
mais également pour nous les jeunes, vivre autre chose pour la première
fois. Voir des jeunes de tous bords, ensemble et en très grand nombre,
dans une même communion jeune. Une fête prétexte
au premier anniversaire de Salut les copains le magazine de Franck
Thénot et Daniel Fillipacchi : la Nation orchestrée par
Louis Merlin (chargé de la communication à Europe 1).
Les deux animateurs ( un autre concept de Merlin pour remplacer les "chers
auditeurs , bonjour" ) je les écoutais aussi dans Jazz dans
la nuit à partir de 22 heures depuis un transistor au pensionnat
du Lycée Saint Exupéry de Mantes la Jolie. Ma mère
m'avait et s'était offert l'occasion de voir le fringant Johnny , à
l'Olympia,. (entre le 25 octobre et le 12 novembre 1962) . Concert , avec
un teenager sur le haut de l'affiche, et comme clou une vraie/fausse bagarre
pour l'adaptation française La bagarre du tube d'Elvis…"if
you want some trouble you came at the right place…" J'y appris
que la première chanson devait être banale, et qu'elle serait
de toute façon très vite oubliée, car l'attention se
porterait uniquement sur l'entrée du fauve.
Que spectacle il y avait. Depuis avec 'Temps-Danse' je fais tourner, dans le sens des aiguilles d'une montre, et dans l'autre sens ( dans le sens du non-sens) deux mouvements aléatoires distincts ( addition de deux aléatoires ou aléatoire au carré ?) de la petite et de la grande aiguille d'une horloge.
Selon Picabia le temps de la vie importe peu : "les idiots pensent que la mémoire fait partie de la connaissance et de la vie" et me donne même de la marge :
" Il n'y a que les médiocres qui aient du génie de leur vivant".
La mémoire de ce qui se passe durant le sommeil n'est pas la question la moins embarrassante (je veille sur mon propre sommeil); elle répond et abonde dans ce qu'obscurément ou clairement obscurci (avant ou après la "découverte" de l'inconscient) nous désirons. Mon rêve, fut un temps, de trouver mon insertion sociale avec un job somme toute original, traduit dans une demande : 'je dors pour vous'. Rôle social que j'espérais agrémenter de quelque sous. Il n'en fut rien, avec un résultat plus que médiocre puisque nul. On peut toujours rêver…
Du rêve et de l'inconscient en passant par l'amour fou, parties non négligeables de la vie, on connaît la première phrase du Manifeste du Surréalisme (1924) :
"Tant va la croyance à la vie, à ce que la vie a de plus précaire, la vie réelle s'entend, qu'à la fin cette croyance se perd."
Je me souviens d'avoir lu dans le catalogue de Dali du Centre Pompidou, que lors de la séance qui devait l'exclure (prosélytisme pour Hitler) Salvador Dali allait retourner la situation en sa faveur. Il mit l'auditoire dans sa poche en le faisant rire sous cape, s'interrogant sur les diverses manières de représenter le rêve qu'il ne manquerait pas, un jour, de faire : André Breton et lui forniquant.
Allan Kaprow a écrit beaucoup de textes sur la dialectique -ceci est de l'art/ceci n'est pas de l'art ; l'anti-art est, pour lui, un art de la ressemblance, des similitudes, comme la vie.
Je fus parmi d'autres, le voyeur du spectacle d'Isidore Isou à la Galerie de Paris : sur un podium un couple de professionnels faisant l'amour. Rien d'excitant, pour moi s'entend, sinon l'expression de quelques amateurs d'art?/ de mateurs de natures vivantes et dénudées en action ?
Il me reste une phrase d'Isou glanée au fil des années :
" Les vérités qui n'amusent plus deviennent des mensonges".
En 2003 que reste-t-il du matérialisme dialectique l' "unique méthode de construction de la vie et d'analyse des relations sociales entre les hommes" LEF (1928) et autre Révolution ou isme:
"…Mais que me fait à moi toute la Révolution du monde si je sais demeurer éternellement douloureux et misérable au sein de mon propre charnier. " Artaud (1927)
"…Le surréalisme a cherché avec l'inconscient obstructionnisme et la fourberie politique du cadavérique Breton, à se faufiler comme il pourrait dans la nuit des immondices dont, à son image, il voudrait les voir chargés" Bataille (1930)
Ne parlons même pas du Breton qui recopie et fait recopier par Valentine Hugo plusieurs fois ses manuscrits pour des dollars, dollars qu'il n'aime pas voir déborder des poches d' Avida Dollars . Je préfère Dali qui prétend que généralement les gens travaillent pour faire de l'argent et que lui il fait de l'argent pour travailler. Et, comme lui, je penche, en direction de l'individu plus que du groupe :
"La différence entre moi et les Surréalistes, c'est que moi je suis surréaliste".
Au tout début des années 70, je choisis "comme par hasard" Fluxus. Changement pas changement : Ready made utilitaire de George Brecht chaise banale à utiliser, à déplacer (Rubin Gallery, New York 1959). Ben Vautier vit dans la vitrine de la Gallery One (Festival of Misfits, Londres 1962) …Willem de Ridder, un flux parmi les flux résume par une belle phrase une croyance que John Cage n'aurait aucun mal à partager :
" The biggest changes happen when you stop believing that you should change"
Croire, ne plus croire, laisser croire, l'art cette envolée.
Marcel Duchamp, le garçon de café bien connu, parfois marchand de sel affectionne particulièrement le mot croire :
" Art don't exist, but I believe in artists."
Marcel tranche bien la situation. Il ne reste que la vie (si l'on admet que l'art n'existe pas). Si je me souviens bien c'est le petit-fils de Duchamp - "Duchamp, mon grand-père" prétend Daniel Spoerri - qui énonce un peu différemment l'idée de papy : "l'art c'est ce que font les artistes".
On n'en sort pas, maintenant, il faudrait définir ce qu'est un artiste, et ne pas oublier le 'je suis l'artiste des artistes' de Robert Filliou, et 'l'Un-Artiste' (l'artiste vidé d'art) de Kaprow…
Que serait l'artiste, celui qui ne renonce pas. Qui ne renonce pas à quoi ?
À dériver ? À se laisser dériver ? À choisir sa dérive ? À influencer la dérive des autres ? …
Artiste "faute de mieux", comme étaient lettristes faute de mieux, Hadj Mohamed Dahou,, Cheik Ben Dhine, Ait Diafer dont il faut citer la première phrase de leur manifeste écrit à Alger en 1953 :
"Manifeste du groupe Algérien de l'Internationale Lettriste
Nul de meurt de faim, ni de soif, ni de vie. On ne meurt que de renoncement…"