BONJOUR
INGRID : LATREMBLANTE DU MOUTON
Pour
le chant des oiseaux à l'oreille d'un Saint François d'Assise
il convient de parer le futur élu des plumes adéquates.
La lumière insultante de la divinité baigne ainsi ceux
dont la vie humble de tous les jours devient le creuset d'un grand spectacle.
Fellini en a donné une image géniale dans l'un de ses
films en montrant non seulement la scène de vision mais la mascarade
médiatique qui sous-tend l'escroquerie idéologique.La
Voix prend, pour se faire entendre, la figure de la pureté dans
un acte de pédophilie mystique par lequel le vieux Dieu vient
réveiller les corps las. Ce dernier reste le soleil que l'œil
écoute à travers celles et ceux qui le voient et lui renvoient
par contre coup leur lumière d'en-bas. Champ contre-champ en
quelque sorte. Cinéma muet et cinéma sonore avec voix
off particulière. Le spectacle est vieux comme la religion donc
comme le monde. Tout
dépend en effet de celui ou celle auquel ou à laquelle
Dieu s'adresse : à savoir l'interlocuteur, l'acteur qui va devenir
la figure souveraine de son absence et à laquelle celui-là
donne une présence. L'"habité" tournant les
yeux vers le lieu où les autres ne le voient pas offre ainsi
la certitude de son existence. C'est pourquoi son casting reste capital.
Ame crue, chair blanche, l'élu(e) doit receler en lui la faiblesse
qui se dérobe à la puissance dont il va devenir à
son âme défendante le vecteur social. Le voici image de
Dieu. Car ceux qui le médiatisent savent que toute image est
décevante. C'est pourquoi Dieu n'en a pas. Il lui faut donc une
image par défaut; l'image d'une autre image.C'est pourquoi sont
choisis pour son apparition des images simples, pures et enfantines. Enfants ou jeunes filles qui
passent leur temps en compagnie des animaux au milieu de la nature sont
les vecteurs idéaux. Bergères et bergers deviennent les
images rêvées. Au détour d'un chemin ou au fond
d'une grotte ils vont découvrir Dieu lui-même ou plus souvent,
dans notre tradition catholique, la mère des mères. Celle-ci
aime ses enfants de manière insensée. Quoi
de mieux donc pour exciter un supplément de foi ? La mère
(vierge de surcroît) tenant son enfant au centre du monde, tient
le monde au centre de son cœur "offrant". Elle nous tient
donc. On ne s'en délivre qu'en ne lui résistant pas, qu'en
portant la brûlure de son amour partout dans le monde dont elle
devient sinon la Mère du moins la Régente pour ceux qui
Il
est vrai que nécessité fait loi. Accordons lui un sursis
afin de voir ce qui se passe. Laissons lui le privilège du doute
pour savoir si c'est une nouvelle sainte que les pouvoirs nous offrent
et afin de connaître si la sainteté est encore ce qu'elle
était. Sans
elle, un risque "idéologique" planait et risquait de
restreindre le pouvoir
de ceux qui nous gouvernent. Et elle venait inoculer un contre poison
à la peur irrationnelle que Malraux avait devinée en lançant
sa fameuse phrase "Le XXI ème siècle sera métaphysique
ou ne sera pas". C'est pourquoi le modèle le plus sommaire
de la métaphysique - à savoir l'incarnation divine - garde
plus que jamais de beaux jours devant lui . Au moment où une
crise (pour la première fois mondiale) embrase le monde, on sent
déjà combien la légèreté nous fait
horreur. Certes le monde séculier se disperse encore dans les
joies de la consommation.
Mais celles-ci sont accordées plus que jamais aux plus que nantis
parmi nous. Une
nouvelle féodalité s'instaure. Le monde à nouveau
se scinde en un partage par la richesse. Le coffre-fort et le goupillon
s'allient à nouveau. Ceux qui possèdent savent combien,
pour conserver leurs privilèges, il faut remplir à nouveau
églises, temples, mosquées, etc afin de protéger
leurs escarcelles en permettant aux perdants l'espoir de la douceur
éternelle dont ils ne peuvent jouir ici même, ici bas..Certes,
en des temps plus "bénis", nous avons cru trouver dans
le sexe une transgression qui jusque là
n'avait jamais été permise. Mais Sida aidant tout rentre
(malgré quelques remugles et signes persistants de l'ordre du
fantasme) dans l'ordre. Certains croient encore au sexe et à
l'économie, d'autres à la culture et à l'art. Mais
tous savent que cela ramène de gré ou de force devant
la seule égalité : celle de la mort. C'est pourquoi on
nous fait croire qu'il faut nous remettre de nos erreurs et replacer
nos montres à l'heure des divinités atemporelles. Nous
avons cru grandir et devenir adultes, mais notre mort et même
notre luxe (si minime soit-il) apparaissent tels de mauvais conseillers
: ce sont des dieux, des vrais qu'ils nous faut encore et toujours.
Et pas seulement ceux que réclamait Charles Dullin : à
savoir des dieux de théâtre. Il nous faut encore de la
bougie tremblante dans le noir, de la pauvreté de Dieu, du grésillement
de lumière dans la lumière.Ceux qui nous gouvernent le
savent. Dans le murmure, du silence au silence, des nouveaux Saint françois
d'Assise dialoguent avec les oiseaux, de nouvelles Saintes Agnès
de Foligno savent que leur prince céleste viendra. Amoureux et
amoureuses de l'Amour surgissent afin de nous montrer la voie en entendant
pour nous la Voix. Elle est encore Malraux
avait donc raison : le XXIème siècle risque d'être
sacrément métaphysique. On entend par ci, par là
des phrases définitives : Dieu reste ce que savent les enfants
(qui ont bon dos) et ce que les adultes ignorent . Ou encore : un adulte
n'a pas de temps à perdre pour nourrir les oiseaux. C'est donc
en voyant sur la couverture des journaux la joie lumineuse d'Ingrid
que certains comprennent à nouveau ce qu'on appelle une image
sainte. Reste à savoir si l'on veut, face à elle, joindre
les mains ou les laver.L'histoire est vieille comme le monde, le pouvoir
traite de la main à la main avec l'éternité supposée.
Il y engage jusqu'au dernier sou de son âme pour préserver
ses prérogatives temporelles. D'un côté la fausse
monnaie, de l'autre l'amour du monde. C'est dire ce qu'il en est de
ce dernier… Ceux qui possèdent disent aux autres : soyez
riches de tout ce que nous n'avez pas et de ce que vous n'aurez jamais.
Sans le savoir, ils ne pourront jamais mieux dire. Au sein de ce qui
pour eux n'est qu'un mensonge, ils affirment que le monde de l'esprit
n'est que le monde matériel enfin remis d'aplomb. Reste
à savoir si une image pieuse - telle qu'Ingrid Betancourt - a
compris que dans le monde de l'esprit c'est par la faillite qu'on fait
fortune. N'est-ce pas là accorder trop de crédit à
une image (fût-elle pieuse) ? Un sérieux doute est émis.
Pas sûr qu'une telle égérie élevée
au rang de martyr renonce à tenir sa boutique et ne continue
pas la vieille histoire dont elle reste l'héritière. Sa
famille était dans le commerce des valeurs bourgeoises et son
père était un prélat laïque gavé de
bel encre. Ayant cuit longtemps son pain aux enluminures de la richesse
de ce monde il n'est pas sûr que la fille ose le pas au delà,
déserte et abandonne sa place. Sera-t-elle de celles qui osent
dire : des choses je ne connais plus que le prix et je m'en dépouille
devant tous les gens de bien. Je m'en vais nue comme un brin d'herbe,
comme une première étoile dans le ciel noir ? C'est tout
le mal qu'on lui souhaite. Mais peut-être ne fera-t-elle que vieillir.
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