Il y a des gens qui traînent
au lit, qui baillent aux corneilles,ce sont des rêveurs.
Il y en a dautres qui sautent du lit, hiver comme été,
qui se ruent dans la salle de bain, bousculent leur compagne, shabillent
dans lescalier une tranche de pain entre les dents, courent jusquà
leur voiture, démarent en trombe, brûlent les feux rouges,
sengoufrent dans leur parking, claquent la porte et sprintent jusquà
leur bureau, leur atelier ou se jettent derrière leur caisse enregistreuse,
ce sont les travailleurs.
Les travailleurs ont érigé des cathédrales, construit
des autoroutes et des voitures et des camions pour mettre dessus, ils
ont électrifié les villes et les champs, empilé des
maisons jusquà en faire des cités, ils ont fait fructifié
la monnaie, transformé lor en papier, ils ont élevé
le niveau de vie à un niveau nivellant, ils ont civilisé
les jungles et les déserts, ils ont bati la société.
Cela sest passé sous les yeux de lhumanité.
Cétait une époque merveilleuse. Et puis un jour est
survenue une nouvelle inattendue : il ny avait plus de travail.
Les travailleurs avaient tellement travaillé, ils sétaient
tellement acharnés au labeur quil ny avait plus demploi.
Les plus travailleurs, un moment interloqués, se sont mis au travail.
Ils avaient lhabitude de résoudre les problèmes. Ils
sacharneraient autant quil le faudrait mais ils trouveraient
la solution à celui-là.
Effectivement ils ne furent pas long à proposer un moyen simple
et efficace. Il suffisait de prendre les moins rêveurs des rêveurs
et de leur donner la tache de faire travailler les autres rêveurs.
Cela fonctionna remarquablement. Les moins rêveurs des rêveurs
révélèrent une compétence insoupçonnée
et se signalèrent par un zèle inespéré. Ils
mirent au travail une quantité dautres rêveurs, qui
attirés par leur bonne humeur de travailleurs, qui dûment
exhortés. Mais à la stupeur générale cette
situation idyllique ne dura pas et bientôt fut force de constater
que de nouveau il ny avait plus demploi. Les grands travailleurs
eurent de nouveau du pain sur la planche mais ce nétait pas
pour leur faire peur. Dailleurs ne suffisait-il pas de renouveler
lexpérience : reprendre des rêveurs certes plus rêveurs
quon aurait voulu mais tout de même moins rêveurs que
dautres et de leur faire mettre les derniers des rêveurs au
travail. Mais alors que cette solution allait être appliquée
comme incontestablement la meilleure survint une nouvelle désastreuse.
Les rêveurs quon avait mis au travail sétaient
mis à travailler plus que les travailleurs. Cétait
maintenant les travailleurs qui perdaient leur emploi et les anciens rêveurs
qui travaillaient.
Il y eut des économistes pour dire que ça ne changeait rien.
Mais la réalité se chargea de leur remettre les pieds sur
terre. Un rêveur inactif a linconvénient de ne pas
consommer grand chose mais il présente lavantage concommitant
de ne pas entrer pour une grande part dans léconomie de la
société; un travailleur inactif, a consommé et sil
a été un grand travailleur il a surconsommé, il a
une voiture, une maison, un figidaire neuf et tout cela nest pas
entièrement payé.
Les anciens travailleurs infectés par la maladie de loisiveté,
plus rapides à réagir que les économiste adoptèrent
le slogan : Laissez les rêveurs rêver.
Amenant la consternation chez les grands travailleurs!
Il faut les comprendre. Lhomme nest pas à strictement
parler une machine-outil. Il rêve. Même les grands travailleurs
avouent que ça peut leur arriver. Et ce nest pas forcément
totalement négatif. Il est bien certain quavant davoir
une belle voiture il faut à un certain moment en rêver et
cest parce quon en a beaucoup rêvé quon
peut beaucoup travailler pour lavoir. Mais il ne faut pas trop en
rêver non plus sinon on risque de se contenter den rêver.
Il y a comme un point de non retour que la plupart des hommes évitent
de franchir par civisme, par crainte, par habitude, par éducation,
par convivialité. Car avouons-le le rêve est un des versants
de lhumanité. Les pires des travailleurs rêvent et
sils ne font pas attention ils peuvent rêver de nimporte
quoi. Pas forcément dautomobiles ou de villas ni de voyages
organisés. Ils peuvent rêver de la société,
ils peuvent même se rêver.
Dès lors on comprend linquiétude des grands travailleurs
qui pourraient se retrouver tout seuls à travailler. Et pourquoi
pas ? pourrait-on dire, ne sont ils pas capables à eux tout seuls
de porter tout le poids de la société?
Ce nest pas si simple. Bien sûr quelques grands travailleurs
et leurs merveilleuses machines sont tout à fait capables de porter
le poids de la société. Mais la plus grande partie de leur
travail ne consiste-t-elle pas justement à faire travailler les
autres, à leur trouver du travail. Alléger cette fonction
équivaut à les mettre partiellement au chômage. Cest
une éventualité quils ne peuvent supporter.
Et cest ainsi que les hommes luttent contre le chômage ceux
qui travaillent comme ceux qui ne travaillent pas. La lutte est dure sur
le front de lemploi. Tous les coups sont permis. Des armes nouvelles
sont constamment essayées, la plupart adoptées, ainsi la
société dispose dun armement de plus en plus lourd.
Reste-t-il un secteur dinactivité il est aussitôt investi.
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