écriture = action

lecture = action

écriture = lecture

 

AVANT

 

Dans ma pratique d'écriture, se succèdent une série de traitements physiques du texte : découpages (de prises de notes, d'éléments récupérés), collages, caviardages, re-découpages (aux ciseaux, au traitement de texte), extractions (dans ce cas le morceau retiré s'autonomise ou devient départ d'un nouveau texte)... Il me faut manipuler cette matière jusqu'au point où elle dit quelque(s) choses(s), quelque chose que je n'avais pu - entièrement - prévoir. Viennent, entre les étapes de re-saisie, les étapes de lecture à haute voix (sans public) en arpentant mon appartement. Le mouvement de la phrase semble appeler le mouvement de la marche, la mise en marche du corps. Cette étape "d'écriture / ré-écriture orale" (il ne s'agit nullement d'improvisation) est décisive dans la modification partielle ou totale du texte : les phrases seront re-ponctuées, re-découpées. Le texte ne devient pas à proprement parler un "poème partition". La ponctuation (le passage volontaire à la ligne peut être considéré à mon sens comme une forme de ponctuation) tient alors lieu pour moi "d'effet de transition" (je pique ce terme aux logiciels de montage vidéo... ce n'est pas par hasard). Après avoir pratiqué durant quelques années la vidéo, le traitement de texte me tient lieu aujourd'hui de banc de montage où l'écrit prend en compte les rythmes de la voix : arrêt, pause, avance rapide, boucle (lire COMME une boîte à rythme, plutôt qu'AVEC une boîte à rythme). Je suis le premier lecteur de mes textes, pleinement lecteur, car lecteur non silencieux. Tout cela pour l'émergence des sens (pas de sens unique). Phrase(s) = DISPOSITIF. Pas d'éclatement des phrases sur la page. La ponctuation fragmente la phrase (virgules, parenthèses, deux points, points de suspension...). La longueur des phrases varie de quelques mots à plusieurs lignes, hachant, ou laissant "couler" le rythme de la lecture. Pas de blanc entre les phrases, donc pas de pause dans la lecture. Les phrases et les idées (soutenues par les sonorités imbriquées en elles) s'enchaînent en une fausse linéarité au service de la rapidité d'une pensée - forcément - rhizomatique.  La poésie est, pour moi, l'écriture des raccords. Raccorder les fragments langagiers entre eux. Raccorder l'Homme avec le monde par le biais du langage, de biais, du moins essayer.

 

PENDANT

 

Lorsque je lis en public, j'ai toujours à l'esprit qu'il s'agit d'un corps (le mien) qui s'adresse à d'autres corps (le public). Au moment où j'émets la première syllabe, je ne peux plus me poser la question de la qualité du texte. Je dois avoir confiance dans le texte, afin de ne pas tenter, en "sur-jouant", de rattraper ce qui me semblerait être des faiblesses dans l'écriture. Au moment de lire je suis généralement, debout (jambes légèrement écartées), ancré au sol. Je ne peux - ne doit pas - gesticuler. Il me faut placer toute mon énergie dans mon rapport au texte, à ses variations de vitesse (souvenez-vous la ponctuation !). Je suis cramponné au texte (tenu des deux mains). Le texte devient ma planche de salut, le flotteur qui me maintient à la surface de l'attention du public. Il me tire vers le haut (haute voltige), je le soutiens, lui donne corps.

 

APRÈS

 

Je ne cherche pas à conserver une trace enregistrée des lectures publiques que je fais. Dans notre monde obsédé par la conservation de tout et n'importe quoi, il me semble intéressant de partager avec d'autres (le public) un moment intense (je l'espère) et éphémère. Disparition de la parole à peine émise en écho à un travail mouvant (d'où le choix de plus en plus fréquent de tester "live" un texte en cours d'écriture). Ce qui m'intéresse dans la diffusion du texte écrit c'est de faire vivre au lecteur une expérience. Cette expérience de lecture inclura par exemple le fait de tourner les pages (le livre comme une succession de plans séquences, souvenez-vous la vidéo !), le fait de pouvoir retourner en arrière, les "intonations" des variations typographiques, les "vraies", les "fausses" répétitions. Je peux également jouer avec le lecteur en le "noyant" volontairement dans un bloc de texte compact. Il ne s'attend alors pas à une écriture éclatée dans son rythme (par sa ponctuation, ses répétitions...), choses annoncées plus directement dans les écritures laissant une plus grande place au blanc de la page (avoir un "look coup de dé" n'est pas nécessairement avoir la justesse de Mallarmé). Par opposition, les textes ou passages de textes non ponctués soulignent eux aussi la question de la ponctuation (on y cherche sa respiration, sa ponctuation). Il ne s'agit nullement de renier les héritages des avants-gardes, mais de continuer (encore, toujours) en n'oubliant pas que leurs formes étaient au service d'un fond (idées individuelles, théories collectives...) et liées à un contexte (historique, artistique, social...).