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AKENATON
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Quelle est la situation de l'art électronique en France et dans le monde? Ce medium a-t -il vu émerger de nouvelles catégories d'artistes électroniques ?

Notre travail se situe, au point de départ, dans le champ de la poésie expérimentale : nous ne nous sentons guère le droit de parler quant à l'art électronique en général. Et puis chacun se doute qu'il y a énormément de différences à cet égard entre la poésie et, par exemple, la musique etc. etc.
Restons-en à la poésie: l'intérêt pour ces technologies a connu une véritable révolution à la fin des années 80, quand un certain nombre de poètes ont compris -dans la suite logique des recherches entamées par les concrets, la poésie visuelle ou l'ensemble des avant-garde historiques- que l'ordinateur n'était pas seulement un instrument combinatoire et mathématique, mais qu' il permettait de gérer/générer du visuel et du sonore de manière fusionnelle, multimedia si l'on préfère. Pour tous ceux-ci l' ordinateur représentait l' "accomplissement " d'un ensemble de rêves énoncés depuis longtemps: synesthésies, aléatoire, interactivité etc. Aussi, le premier cercle des "poètes de l'électronique", qu'il s'agisse de gens comme Philippe Bootz, Claude Maillard, E.Kac, Tibor Papp, J. Donguy, J-P Balpe ou Akenaton est très largement constitué de poètes ayant eu et ayant un parcours, certes varié, dans l'ordre des poésies expérimentales. Il faut insister sur cette filiation, qui vaut aussi bien pour les français que pour les autres européens ou pour l'amérique du Sud, même si, évidemment, le passage à l'ordinateur a été effectué la plupart du temps par des poètes relevant de générations postérieures à celles des années 65/70, le cas d' un A. De Campos, fondateur du concrétisme au brésil et aujourd'hui poète électronique restant isolé.
Tout ceci vaut pour les premiers temps. Depuis 5 ou 6 ans les choses ont beaucoup changé, d'abord parce qu'il y a de plus en plus de gens (les jeunes en premier lieu) qui ont intégré la "culture de l'ordinateur". Mais surtout il y a le web . Qui ne se résume pas à l'électronique. Quand nous avons, il y a 2 ans travaillé avec la revue Alire et Philippe Bootz pour la réalisation du numéro de DOC(K)S consacré à la poésie électronique et de son CD-Rom, nous n'avons, au total, "découvert" que très peu de poètes, nous les avons seulement rassemblés. Cette fois, dans ce parcours au sein du web, ça a été différent. Certes il y a la dimension "mail art" qui assure la continuité et qui fait que nous avons retrouvé là un bon nombre des mail artists croisés en d'autres lieux, DOC(K)S au premier rang , au-delà cependant nous avons été amenés à rencontrer des dizaines de poètes dont nous ignorions tout et dont l'histoire est à peine parallèle à la nôtre. Ces poètes n'ont pas nos références. Ils viennent de la video, des arts visuels, du design, de la communication, voire du web tout court, notamment dans le cas des USA. Certains d'entre eux ignoraient tout à fait l'existence et l'histoire des poètes concrets ou visuels. Mais le web jette les ponts et met à jour les connexions: à preuve, ils nous ont rencontrés et nous les avons rencontrés. Il y a là quelque chose de neuf qui commence par le brassage des réseaux, des catégories, des identités et des générations que le tourbillon web génère. Toutes les archives sont désormais béantes, toutes les histoires potentiellement croisées. N'importe quel jeune qui accède au web peut en l'espace de quelques heures avoir contact via des sites comme L'E.P.C de Chicago ou les archives Sackner avec des travaux qui, il y a quelques années n'étaient accessibles qu'au terme d'une longue démarche.

En quoi votre sélection refète t elle la situation de la scène électronique et quels ont été les critères qui ont déterminé vos choix?

La sélection, dans son principe, reflète assez bien ce que nous venons de dire. Nous avons essayé de faire en sorte que soient coprésentes ces diverses dimensions et "strates", fût-ce pour "présenter les uns aux autres"; nous avons ainsi voulu accélérer le brassage et le metissage, et en cela nous avons été, à notre façon, "impurs" : l'impureté c'est le brassage des identités; on mesure mal, d'ordinaire, à quel point le milieu de l'art est constitué d'un ensemble de sous univers parfaitement étanches les uns aux autres, quoi qu'il se dise (en théorie) sur l'éclatement des catégories ou la fin des étiquettes. Il faut prendre le web comme un mélangeur, un mixer fantastique. C'est une machine à remplacer les cloisons et les compartiments par des links, des liens. Nous avons voulu juxtaposer des travaux, des sites et des poètes droit issus de la poésie visuelle ou expérimentale, comme Akenaton ou Tibor Papp ou P.H. Burgaud et tous ceux déjà présents sur le CD Rom Doc(K)S alire, comme Fabio Doctorovich, des représentants des hypertextes, comme Bob Kendall, de la génératioin textuelle et de l'aléatoire comme J.P Balpe et puis aussi des mail artists convertis ou reconvertis au web, comme Guy Bleus, Clemente Padin, Ruud Janssen, V. Baroni, plus enfin et surtout ceux que nous considérons comme les plus liés au web, ainsi Annie Abrahams, Skipsilver ou Reiner Strasser à saluer tout particulièrement à cause de l'énorme travail qu'il fait en ce moment sur le réseau avec le projet poétique intitulé weak blood, par rapport au Kosovo. Au-delà encore nous estimons que toutes les conditions créatives (sinon technologiques) sont ou seront bientôt réunies pour qu'apparaissent on line des travaux exploitant créativement les spécificités fines du web. En tout cas est-ce à cause de cela que nous avons tenu à ce que la présentation des travaux s'effectue aussi souvent que possible en rapport avec le site dont ils sont issus, site dont nous avons essayé de donner, même off line, au moins un pâle équivalent. Les sites ont des styles, des climats, des personnalités. Le site c'est l'homme!

L'émergence de ces nouveaux supports et medias que sont intertnet et le cd rom vont ils d'après vous bouleverser notre rapport à l'objet artistique, son marché, sa diffusion?

C'est une question essentielle et qui nous concerne de très près puisqu'elle constitue en filigrane la base du travail que nous menons ces dernières années avec DOC(K)S: cerner les apports, les interférences et les spécificités des medias. Car il s'agit de bien comprendre que les medias ne se remplacent pas, qu'ils s'ajoutent les uns aux autres en redéfinissant l'espace global du langage et en repartageant les fonctions. Le livre a perdu son monopole, il est une solution parmi bien d'autres. Sa "valeur absolue" est qu'une symbolique osolète. Il est des objets qui trouvent au sein du livre leur lieu d'existence privilégié, d'autres par contre qui y meurent d'asphyxie. Il est clair par exemple que lire à l'écran un long texte théorique ou tout un ensemble d'objets relevant d'une écriture linéaire "classique" n'est pas très excitant ni pratique. Même remarque en ce qui concerne certains objets plastiques, tableaux, images voire installations, dont le web est aujourd'hui envahi et qui pourtant ont bien peu à y gagner car ils impliquent une fréquentation physique. La notion de "galerie virtuelle" relève souvent de la simple plaisanterie. A rebours, les gros travaux multimedia animés, interactifs ou pas, développés par certains poètes électroniques impliquent inévitablement le CD Rom et, pour souligner la nécessité d'être très précis, il est loin d'être certain que des travaux de ce genre soient particulièrement adaptés au web. L'électronique est un monde très diversifié. Quant à préciser ce qui est vraiment spécifique au web, il faut aller doucement, nous ne sommes qu'au début. Pendant tout un temps - il dure encore!- les artistes se sont précipités sur internet pour y fourrer à peu près n'importe quoi, comme s'il s'agissait d'une simple vitrine, ou d'une galerie, d'un lieu d'exposition, d'un micro museum. Et chacun d' ouvrir son petit commerce, rebaptisé site. Ce qui, bien sûr, ne rime pas à grand chose sinon à cautionner la gigantesque opération commerciale qui se déroule sous nos yeux. Au lieu de reproduire sur le web ce qui existe par ailleurs - de surcroit en le déréalisant c'est à dire pour le cas, en le trahissant- il faut chercher à créer des objets ou des situations qui n'ont pas d'équivalent dans les autres cas de figure. Qu'est ce qu'un site, qu'est ce qu'un site en tant qu'objet créatif et poétique, ça c'est une vraie question, pas souvent posée sauf par ceux que nous avons évoqués en dernier, des gens comme Strasser ou Skipsilver. Une question que le terme même de virtuel occulte, parce qu'en parlant du virtuel on réfère au reste, au réel. Ce qui est important c'est ce qui se passe réellement dans le web et avec lui, et justement ceci n'est l'ombre de rien, ça n'a rien de virtuel! Aussi quand on demande ce que le web change en ce qui concerne la diffusion des travaux, il ne faut pas se tromper. S'il s'agit de "faire savoir" au bout du monde -fonction de communication, de "vitrine"- que tel livre a été publié, voire d'en donner quelques échantillons, c'est peut être important mais ça n'a rien de très nouveau et de plus c'est probablement très fallacieux. Là ou ça change tout, c'est quand il s'agit de mettre en circulation des objets ou des pratiques créatives qui ne peuvent pas exister autrement que par le web et en son sein. Objets et pratiques qui, à la différence des "anciens" objets d'art, se trouvent immergés - risque? chance?- au sein d'un milliard d'autres puisque, par définition, n'importe qui ou à peu près peut faire sa page web perso... Du coup ces sites que nous évoquions et qui trouvent leur justification en eux-mêmes, qui ne cherchent pas à "informer", à stocker des data etc. deviennent comme des bouteilles à la mer... Ce qui rend les choses actuelles d'autant plus intéressantes: il y a en plus de tout le reste cet effacement de l'aura concernant l'oeuvre et un accès massif à des pratiques de singularisation que l'on aurait, hier ou avant hier tenues pour caractéristiques d'une démarche artistique. Eh oui, tout le monde peut faire de l'art, tout le monde en fait...

Votre postrure d'artiste vis à vis de tout cela et vos engaments esthétiques ont ils évolué ces dernières années ?

Il y a trois points sur lesquels nous n'avons jamais varié.

1°) Depuis qu'Akenaton existe il s'est défini comme groupe (cerci implique des choses quant à l'effacement des identités) intermedia et dès cette époque nous avons tenté d'intégrer la video ou l'ordinateur à l'ordre des recherches liées à la poésie visuelle.

2°) Depuis qu'Akenaton existe il a revendiqué la possibilité de greffes et croisements variés et le droit de passer de l'archaïque à la sophistication technologique. Chez Jacques Donguy l'une des pièces que nous avons naguère présentées se constituait d'un accouplement entre un disque dur, un vrai et d'un de ces gros champignons qui parasitent les arbres.

3°) Nous ne fétichisons rien, ni aucune forme ni aucune recette ni aucun outil. Le recours à l'ordinateur ne garantit aucunement l'intérêt poétique de l'objet produit: très souvent c'est même le contraire. Nous ne mélangeons pas les genres, un poète, s'il a une spécialité c'est la poésie, et le langage qui l'interesse essentiellement ne s'appelle ni java ni lingo ni pascal... Bon, sur ces 3 choses nous n'avons jamais varié. Pour le reste, le temps et la pratique nous ont fait évoluer, peut-être un peu plus vite que certains, ce qui fait qu'aujourd'hui, paradoxalement, par rapport à la web déferlante, il nous arrive assez souvent de piquer de violentes colères. Mais bon, cela passe, l'on se remet au travail en essayant de cerner les vraies questions: ce que c'est qu'un site en tant qu'objet poétique à part entière, à la parfaite interface de l'identité et de sa dissolution, entre privé et public, secret militaire et obscenité pornographique, labyrhinthe et architecture, ici et nulle part...C'est ça le web qui interesse Akenaton, un champ de pyramides communicantes par une myriade de galeries, une taupinière pour clochards celestes.