LA PERFORMANCE : UN CONSTAT D’INTERÊT PUBLIC

 

 

Introduction.

« Le budget de la culture régresse parce qu’il est condamné à disparaître, comme le ministre du même nom. Voici ce qui s ‘annonce dans la sanctuarisation du budget de la culture. Il s’agit bien d’un corps mort, ou mourant : les activités culturelles ne sont visiblement plus considérées par la nouvelle majorité parmi les services publics légitimes et partagés ». Bruno Tackels dans Mouvement.

Un public de plus en plus nombreux fréquente les lieux de l'art contemporain, et 40 % des Français pense que le budget de la culture est beaucoup trop faible compte tenu de l'importance de sa tache, pour le temps présent et pour l'avenir de nos sociétés.

Mais aujourd’hui des millions d’euros sont amputés du budget 2003 du ministère de la Culture et  si la réforme des intermittents du spectacle est entérinée, 60%  des artistes où techniciens seront mis en difficulté. Un coup fatal pour la création française !

À l’heure où nous ne pouvons que constater l'état de régression général dans lequel se trouvent les arts plastiques qui deviennent le parent pauvre de la culture en raison du laisser-faire de l'Etat, la situation de l'Art Vivant devient aussi grave, voire explosive.

Le constat est que, en France, toute initiative qui ne vient pas de l’institution n’est pas à priori approchée avec ouverture et que si cette initiative arrive à prendre vie ou survie, elle doit le faire dans des conditions qui relèvent ....... de la performance ! Et dans tous les cas avec des budgets dérisoires.

Alors au milieu de ce marasme, que dire de la Performance qui a toujours été considérée comme un art mineur ?

20 ans auparavant, Orlan et Hubert Besacier ont connu déjà les mêmes problèmes avec leurs Symposiums d’Art Performance (1978-1983). Lyon était devenu une capitale de l’art performance, et leur courage et leur optimisme n’a pu résister à long terme au manque de soutien financier.

Il est curieux de constater que la situation n’a pas évolué depuis tout ce temps. Secouer le cocotier lyonnais, n’est pas une mince affaire.

Or le Festival Polysonneries entend bien perpétuer cette tradition, et être le lien entre le passé et la pertinence des recherches les plus actuelles, et maintenir un climat de confrontation pluridisciplinaire, tout en gardant un pied solidement ancré dans le domaine des arts visuels.

En invitant les spécialistes des différentes pratiques performatives et des critiques ou des théoriciens ouverts à ces mixtions insolites, nous pouvons affirmer l’évolution notable de ces pratiques alternatives et présenter à des spectateurs soucieux d’authenticité les différents états de l’Art Performance dans leur dimension internationale.

 

 

HISTORIQUE.

Si la performance consiste à présenter l'œuvre en train de se faire, elle a aussi son histoire : le Futurisme, en passant par le Dadaïsme, Marcel Duchamp, Fluxus jusqu'à la poésie action de Pierre Albert Birot, Kurt Schwitters pour le poème phonétique, John Cage, Zaj et Gutaï, le Happening, la poésie sonore et action, l’art corporel... pour ne citer que ceux-là.

Arnaud Labelle-Rojoux dans son livre, l’acte pour l’art écrit :

« Le mot "performance" apparaît pour la 1e fois selon Jacques Donguy en 1970 sous la signature de M. Hein dans le "Journal of Aesthetics". Il est à mon avis antérieur : les actions de Rauchenberg sont couramment nommées performances, Suzi Gablik utilise ce terme en 69 dans le catalogue : Pop Art redefinited.

David Medalla, dès 1965 dit : dans l'art performance, l'artiste est l'outil de l'art, il est l'art »

Liée généralement aux années 70, la performance apparaît déjà dans les années 60. On peut se rappeler alors les interventions de Ben Vautier, Gilbert & George et Joseph Beuys.

En 1959, l’Américain Allan Kaprow réalise 18 happenings in Six parts à la Reuben gallery à New York , et Jean-Jacques Lebel l’Anti-procès en 1960.

Mais les happenings outranciers de Jodorowski, un éphémère panique monté avec Topor, Arrabal, Leyaouanc, avaient pour but de ne pas durer plus d’une journée, et de laisser des traces qui restent gravées à l’intérieur des êtres humains et se manifestent par des changements psychologiques ( « Mélodrame sacramentiel », 2e Festival d’expression libre de Paris, mai 1965, au Centre Américain).

En Pologne, Zbigniew Warpechowski fait sa première performance en 1967, bien avant que n’apparaisse dans son pays le mot Performance, entendu pour la première fois à Varsovie, lors du Festival organisé par Henryk Gajewski en 1978. 

En 1975, à Marseille, Roland Miller et Shirley Cameron citent alors le mot « performer –artist ».

En 1968, à Lyon, Jean-Claude Guillaumon invite Ben, Filliou, Dietman, Guinochet et Georges Brecht à manger sur le thème « oublier l’art et venez manger avec nous ».

En 1969, Vito Acconci  performe pour la 1e fois et Michel Journiac fait à la galerie Templon la « Messe pour un corps» , action au cours de laquelle il fait communier le public avec son sang préparé sous la forme de boudin.

En réaction dès le début des années 70, à l’encontre de l’art officiel prôné par l’institution, on constate aujourd’hui que le côté revendicateur de la performance a été désormais digéré, et qu’elle s’est ouvert sur des champs d’action plus larges, laissant à l’artiste toute la liberté d’utilisation des nouvelles technologies à sa disposition. Même s’il existe toujours quelques irréductibles, qui revendiquent et dérangent l’établissement bien pensant par des actions contenant toujours quelques relents sulfureux, on constate dans ce domaine une évolution aussi importante que celle des autres domaines artistiques (ex : Istvan Kantor au Canada, Guillermo Gomez-Pena avec la Pocha Nostra au Mexique, André Stitt en Angleterre, Marie-Claire Cordat en France…).

Istvan Kantor -alias Monty Cantsin- en est une illustration parfaite. Il puise dans le rock et la culture de masse. Il estime que dans notre société technologique, la survie et la paix sont contrôlées par des engins de destruction massive. Le bruit de la machinerie crée et détruit toute chose. Avec son œuvre "Executive Machinery", dont une version a été réalisée en clôture du Festival Polysonneries 2001 à Lyon, par une " symphonie bruitiste post millénaire des archanges trans-techno de la destruction", il fait une déclaration définitive mais poétique.

 

Istvan Kantor (Polysonneries 2001).

 

Les actionnistes

Toutes les publications sur la performance mettent l’emphase sur l’école de Vienne (Nitsch, MÜhl, Brus, Schwarzkogler), et il est vrai que c’est important. La forte teneur des photos de leurs actions est un phénomène que tous reconnaissent et beaucoup de performances des actionnistes avaient lieu sans public, uniquement pour la photo et le film. En France Michel Journiac, Gina Pane et Urs Lüthi représentent l’Art Corporel. Et le poète Vito Acconci en est le représentant majeur aux USA. Le terme apparu en 1970 est né de l’énoncé que le corps est la donnée fondamentale et que c’est en lui qu’il faut chercher les réponses.

Plus tard, Orlan signe l’Art Charnel qu’elle définit comme un travail d’autoportrait au sens classique, mais avec l’aide des moyens technologiques qui sont ceux de notre présent. Entre défiguration et refiguration. Ce travail s’inscrit dans la chair car notre époque nous permet cette possibilité.

                                         (Orlan , Polysonneries 1999 - photo : Pierre Laborde)                                                          

La naissance de FLUXUS

En 1959-60, aux USA, Dick Higgins arrange sur un ring de boxe des “Public Events” à Madison Square.  Judson Church dans Greenwitch Village et l’E-pit-o-me Coffee Shop sont alors 2 hauts lieux pour les Events, grâce à Alan Kaprow, Georges Brecht, Al Hansen, La Monte Young, Carolee Schneemann, Dick et Alison Knowles, Yoko Ono.... Tous ces gens innovateurs cherchent un nom pour leur groupe et c’est Maciunas qui le donnera en arrivant en 1962 : Fluxus est né et c’est d’abord le titre d’un périodique. Puis la presse et les journaux étrangers, suite à une tournée européenne (toujours en 1962), attribueront ce nom aux membres du collectif puisqu’ils appartiennent au groupe qui fait cette publication.

 Là, Dick et Alison rencontrent ou retrouvent Chiari, Paik, Vostell, Andersen, Spoerri, Filliou, Ben Vautier, de Ridder, Patterson, et quelques autres. La grande différence entre Fluxus et les autres mouvements ou tendances iconoclastes comme le Futurisme, Dada ou le Surréalisme, c’est que Fluxus n’est pas au départ un mouvement, Maciunas n’a jamais eu à l’intérieur du groupe l’autorité qu’avait Breton à l’intérieur du Surréalisme. C’est très important, et c’est aussi pour cela que Fluxus est plus difficile à définir que la plupart des autres mouvements.

Dick et la Monte Young sont les 2 personnes qui ont introduit Maciunas, dont la formation était classique, à l’avant-garde. À son décès, Fluxus est mort physiquement, mais Fluxus survit par ceux qui continuent à propager son esprit.

 

Dick Higgins, Colloque Art Action au Québec, 1998.

 

Au même moment, un autre artiste a influencé cette époque : Jean Dupuy. En 1967, il quitte la France pour NY. Il est le témoin de grandes actions menées par les artistes pour de meilleures conditions matérielles et contre la guerre du Viêt-Nam. Il décide d'arrêter la peinture et se consacre à l'art technologique. Grâce à « Heart Beats Dust » et « Cone Pyramid » en 1968, il gagne le concours de l’Experiment in Art and Technology ». C’est le début de son succès américain.

Puis comme il habite dans un grand loft, il invite des artistes, des amis, à faire d’autres propositions. L’idée de performances collectives est née. Charlotte Moorman, Nam June Paik, Laurie Anderson, Claes Oldenburg, Charlemagne Palestine, Georges Maciunas, Carolee Schneemann, Joan Jonas, Philip Glass, Olga Adorno, Gordon Matta-Clark, Richard Serra,..... vont enchaîner de courtes actions régulées par la durée et parfois par un dispositif imposé (Whitney Museum, Judson Church). À la Kitchen, il organise la soirée "Soup and Tart" où 40 artistes font une petite pièce n'excédant pas 2 mns.

L’état d’esprit du "Lazy Art"  repose sur le principe de « laisser faire » les œuvres par les autres. Le plus important selon Dupuy est « to have fun ». Et comme par hasard, Charles Dreyfus l’a aidé à aménager son loft en 1972 (en compagnie de Philipp Glass).

Jean Dupuy s’entendra si bien avec Georges Maciunas, une telle complicité les unira, qu’il héritera de son loft à la mort de ce dernier, non sans générer certaines jalousies. Photo N°4 et 4 bis, Jean Dupuy et Sylvie Cotton, Festival Full Nelson, USA, 2002.

L’IMPORTANCE DES POÈTES

Plus personne aujourd'hui ne conteste le rôle fondateur et initiateur des poètes dans l'élaboration des grands mouvements artistiques.

Baudelaire a rattaché la poésie au monde de l'art et fait du poète un artiste, Rimbaud a relié l'art à la vie, et Mallarmé changé le poème en ballet typographique ou en poème - partition. Les mouvements d'avant-garde du début du siècle ont été créés par des poètes : le Futurisme par Marinetti, Dada par Tzara et Haussmann pour ne citer qu'eux, Merz par Schwitters et Cobra par Dotremont.

L'espace cosmique et galactique ouvert par le "Coup de Dès" de Mallarmé en 1897 est prépondérant pour l'art du XX° siècle où se retrouvent deux notions déterminantes : la notion de "hasard»  (Mallarmé) et celle du "silence" (John Cage).

La Poésie Sonore et Action

Beaucoup d’écrivains lisent à haute voix leurs textes devant un public recueilli et admiratif. Ces lectures publiques n’ont rien à voir avec la Poésie Sonore.

D’après le Suisse Vincent, dans l’ouvrage « Cent Titres » au CIPM, ce terme établi dans les années 50 (ou remis au goût du jour après que le dadaïste Hugo Ball vers le début du siècle, eût fait usage du terme Lautgedicht -ou poème de son-) se référait en particulier aux expériences menées dés la fin de la deuxième guerre par divers pionniers de la musique électro-acoustique et concrète (en France autour de Pierre Schaeffer).                      

Capitales sont également les désintégrations langagières mises en œuvre lors des soirées Dadaïstes du Cabaret Voltaire, les expérimentations vocales et phonétiques de créateurs comme Raoul Haussmann, Michel Seuphor, Pierre Albert Birot et Kurt Schwitters et sa fameuse Ursonate. Dès le début des années 50 les poètes se revendiquent comme sonores.

La poésie sonore demeure rarement publiée par les médias habituels. Si l’on voulait désigner le médium privilégié de la poésie sonore, - ce serait bien plus que le livre, le disque, ou l’enregistrement vidéo -le corps. (Henri Chopin (France) ; les Australiens Amanda Stewart et Chris Mann ; Paul Dutton, Steve McCaffery, Mark Sutherland et Nobuo Kubota (Canada) ; Jaap Blonk (Pays-Bas), Valeri Scherstjanoi (Russie-Allemagne), Giovanni Fontana, Enzo Minarelli (Italie), Katalyn Ladik (Hongrie), les jeunes anglais Chris Jones et Alistair Noon, la liste serait bien longue, je ne peux tous les citer.

 

Henri Chopin

 

Les poèmes action de Bernard Heidsieck sont de véritables opéras miniatures.  Ce pionnier (avec Henri Chopin) de la Poésie Sonore depuis 1955 utilise dés 1959 l’usage du magnétophone comme un moyen d’écriture et de retransmission complémentaire.

Robert Filiou en 1961, avec son poème « A 53 kilos poem » utilise le mot Poésie Action.

« Il ne s’agit plus d’écrire un texte, mais un événement, d’en composer l’organisation par des sons, objets, silences, gestes, souffles et textes qui sont les matériaux du poème et son extension » (Jean-Noël Orenco, Cent Titres).

Michel Métail, Jean-François Bory, Julien Blaine, le non moins excellent Joël Hubaut, le « chaman » Serge Pey, Bartolomeo Ferrando en Espagne, Bianca Menna, Arrigo Lorra-Tottino en Italie, Fernando Aguiar au Portugal, la liste ici aussi serait très longue. Encore une fois, toutes mes excuses aux absents !

Il faut mentionner aussi la nouvelle génération des poètes, soutenus par Laurent Cauwet et les éditions Al Dante et largement applaudis par Bernard Heidsieck. Ces derniers apportent à la scène poétique la bouffée d’oxygène nécessaire, et la relève assurée après la poésie ordinateur de Jacques Donguy, Philippe Castellin, Tibor Papp, Claude Maillard… , les poèmes écorchés de Katy Molnar, la prose de Christophe Tarkos, et ceux de la revue Java, Vanina Maestri, Jacques Sivan et Jean-Michel Espitallier. Parmi eux, Christophe Hanna, Christophe Fiat, Nathalie Quintane, Stéphane Bérard, Laure Limongi, Anne-James Chaton, Manuel Joseph, Olivier Quintyn, Daniel Foucard, Eric Arlix, Jérome Gontier , Thibaud Baldacci …

Bernard Heidsieck

La récente disparition du théoricien et professeur Nicholas Zurbrugg en octobre 2001 a laissé un grand vide dans les milieux performatifs et poétiques qu’il défendait et soutenait avec le talent et la ferveur que nous lui connaissions. Ses grandes connaissances dans ce domaine lui avaient inspiré nombreuses publications et la création du Festival « Rethinking the Avant-Garde»  à l’Université De Montfort, Angleterre, où il enseignait. Sa connaissance du continent australien où il avait passé 17 ans contribuaient à donner à cet insatiable pionnier, la curiosité nécessaire à l’analyse des influences variées représentatives de notre époque. Sa grande originalité, sa sensibilité, son humour, et surtout sa générosité hors norme laissent à tous ceux qui l’ont connu le souvenir nostalgique de cet homme délicieux et unique.

 

Nicholas Zurbrugg, photo Pierre Laborde. Polysonneries 1999.

 

Mais la Performance alors…..

L'histoire officielle continue de considérer la Performance comme un phénomène relié aux années 60.  Combien de fois ais-je entendu de la part des officiels de la culture : “ah bon, un Festival de Performance, mais c’est dépassé, c’est un sujet des années 70, c’est fini maintenant, c’est has been...” Par ces 3 mots, tout était dit ! Ce terme appliqué avec une assurance défiant toute velléité de défendre son point de vue et appuyé d’un regard non moins explicite me rangeant directement dans la catégorie des nigaudes m’a toujours surpris de la part de fonctionnaires dont on pourrait espérer que la culture générale est à la hauteur de leur prétention.

Or la Performance existe de plus en plus, le retour chez les jeunes des pratiques du corps est flagrant. Une nouvelle génération d’artistes émergeant utilise ce médium artistique, au même titre d’ailleurs que les autres médiums qui sont à leur portée de main. Que ce soient les actions jusqu’à épuisement de Julie André (Québec) ou de Melati Suryodarmo (Indonésie) -une élève de Marina Abramovic-, ou encore de Jamie McMurry aux USA, les interventions très politiques de Tanja Ostojic (Serbie), les choix d’une interactivité avec le public de Ma Liuming (Chine) et Cyril Lepetit (France), la mise en avant de notre système de surconsommation par Artur Grabowski (Pologne), Taje Tross en Estonie et les actions radicales du groupe Non Grata, les tournages de films de Nicholas Boone en France, les implications sociales de l’irlandais Maurice O’Connell, les actions sculpturales de Merlin Spie en Belgique, la relève est indiscutablement assurée. Sans oublier l’influence des quelques mentors sur leurs étudiants : Joël Hubaut ou Arnaud Labelle-Rojoux en France, Marina Abramovic en Allemagne, Alastair McLennan en Irlande, André Stitt et Roddy Hunter en Angleterre, Bartoloméo Ferrando en Espagne, Christopher Hewitt en Finlande, Coco Fusco, Nao Bustamente, Skip Arnold, pour les USA, Artur Tajber en Pologne, Adina Bar-On en Israël et je dois bien arrêter ma liste, nous ne sommes pas en peine de découvertes talentueuses.

Julie André.
Melati Suryodarmo.

 

Ma Liuming.
Cyril Lepetit    

 

Dérapages et censures, un signal d’alarme.

 

Il est de bon goût aujourd’hui, toujours en France, de présenter lors d’un vernissage, une “performance” -que je qualifierai la plupart du temps de théâtre expérimental- puisque cela devient un phénomène de mode, dans la mesure ou cette dernière ne salit pas et ne porte pas à des résultats dérangeants qui puissent mettre en doute les compétences incontestables de la galerie ou du musée qui l’organise.

Grâce à ce fait, j’ai eu l’occasion d’assister à des résurgences d’idées déjà largement explorées dans les domaines de la performance par des acteurs, artistes ou musiciens qui le plus sérieusement du monde viennent se faire applaudir bis repetita, comme sur la scène d’un grand spectacle, répondant ainsi à une attente primordiale de notre société : celle d'être prévisible et esthétique, donc rassurante.

Disparue la convivialité, la surprise et l’interactivité habituelle de la performance avec le public, nous sommes désormais dans l’aire du show business voulue par l’institution bien pensante.

Lyon a toujours été considérée comme une ville conservatrice et souterraine. Un moral d’acier est indispensable ainsi qu’une vision globale et à long terme pour résister aux humeurs des nouveaux élus lors des changements de municipalité et attendre les bons vouloirs des collectivités locales.

Pour mémoire, début mai 1995 j’ai assisté à la Bibliothèque Municipale à une censure de la lecture-performance de Joël Hubaut par Patrick Beurard-Valdoye, pendant l’hommage rendu à Gerhasim Luca intitulé « Tchin Tchin Gherasim » ou Joël se sifflait presque une bouteille de champagne tout en discutant avec ce poète disparu. Le repas qui suivit fut des plus animés, l’on s’en doutera. Photo N°15, Joël Hubaut, 1995.

Dans la même série, en 1995, année décidément néfaste, à l’Elac, censure aussi de la part de Thierry Raspail de l’œuvre de Gilles Richard qui était réalisée avec plusieurs Doc(k)s sur l’érotisme. C’était lors de l’exposition « Poésie Sonnée » et un curieux premier contact avec les 2 artistes corses qui forment Akenaton.

Akenaton (Polysonneries 1999). Photo Pierre Laborde.

L’affiche du dernier Festival Polysonneries n’aurait pu voir le jour sans l’intervention radicale du directeur de l’agence Dixit, partenaire de la manifestation et créateur du visuel, Klaus Hersche, le directeur des Subsistances, avait purement et simplement décidé de l’interdire à 3 semaines de l’événement. Prétextant le mauvais goût de l’affiche, et préférant faire travailler son graphiste en Suisse ! Les 5 000 posters avec les belles fesses de Nino ont bien failli passer à la poubelle…

Mais de tout temps les jalousies ont alimenté les différentes « chapelles » artistiques. Nul n’échappe à cette perversité du système. Et tous les systèmes sont pervers. Même celui des artistes. Et comme c’est toujours très flatteur de créer des envieux et de faire parler de soi, le jeune poète lyonnais aux dents longues (disons son nom, Cyril Bret) qui médit sur l’édition 2001 du Festival Polysonneries - 2 ans après - l’apprendra bien à ses dépens !

L’importance d’un Festival.

La forme festivalière fréquentée par des artistes venant du monde entier leur permet de confronter leurs travaux et d’affirmer l’importance d’un langage appelé à atteindre peut-être un jour, “l’Art Total dont on rêve depuis des siècles” comme l’appelait le critique lyonnais René Déroudille, décédé il y a 3 ans.

Monter un Festival, et j’en parle en connaissance de cause, est donc une des choses les plus motivantes et difficiles à la fois que j’ai pu connaître.

Motivante car le résultat de toute cette dépense énorme d’énergie permet d’arriver à la cristallisation que, seule permet, une concentration artistique dense sur une durée d’une dizaine de jours.  Cet état favorise non seulement les rencontres entre artistes et différents participants de la manifestation, mais les interventions artistiques dans les diverses institutions environnantes complices. Il permet aussi bien sûr, des échanges d’idées, des élaborations de projets, des réflexions et analyses d’une situation en place qui ne peut que favoriser et développer cette force positive énergisante propre à toute réunion de personnes engagées par les mêmes intérêts et drainant un public très hétérogène. Le choix crucial du Festival Polysonneries pour permettre ces rencontres a été fait sciemment au détriment d’une ligne budgétaire plus raisonnable comportant moins de risques.

Comme le souligne Pierre Restany, qui a parrainé avec Orlan et Nicholas Zurbrugg, la première édition du Festival Polysonneries, “le caractère essentiel de la performance, c’est-à-dire sa dimension d’interactivité, en a fait le réceptacle de l’expressivité collective, un espace plus ouvert au dialogue et à l’information. La dimension interactive de la performance prend une valeur sociale de particulière importance. Après avoir exploité la politique, la religion et le sport dans ses facultés d’encadrement et d’animation collectifs, la société se tourne de plus en plus vers l’art pour l’aider à combler le vide culturel et humain du temps libre.

Le développement de la performance dans les pays de l’Occident industrialisé aussi bien que dans les zones périphériques de la planète, préfigure la réponse de l’art à cette exigence sociale de plus en plus explicite. Le Festival de Lyon prend à cet égard la valeur d’un signal d’alarme et d’un rappel à l’ordre ».

Outre les performeurs connus et reconnus, l’autre intérêt dans ces festivals est la découverte –et la confrontation-- de quelques performeurs émargeant des sentiers battus. Que ce soit par leur forte présence, leurs idées lumineuses, la dérision dont ils font preuve, le tact avec lequel ils touchent le subconscient de leurs victimes, leurs performances laissent supposer une parfaite maîtrise d’eux-mêmes et la grande rigueur de leur éducation artistique. Parmi ces « passeurs de signes d’humanité », Sylvie Cotton au Québec et Myriam Laplante qui vit maintenant en Italie, le Finlandais Roi Vaara, les Slovaques Lengow & Hermes (Michael Murin & Joszef Czeres), l’Américaine et théoricienne Coco Fusco, la Mexicaine Lorena Wolffer, les Américains Dan McKereghan, Jeffery Byrd, Derek Horton… et nombreux des jeunes artistes à suivre de près…

 

Roi Vaara.
Derek Horton.

 

L’avenir

La grande instabilité actuelle, les attentats catastrophiques récents, l’excessive consommation, les guerres passées ou latentes influencent bien sûr les artistes, surtout ceux de la performance qui s’inspirent des problèmes sociaux et politiques pour alimenter la conscience collective de notre époque.

Outre le fait que la Performance ne soit pas soutenue dans nos pays occidentaux, l’on constate même un réel désir de la cantonner dans la plus grande discrétion possible.

Dérangeante, la Performance ?

En tout cas elle se trouve réduite à une confidentialité forcée dû aux manques de moyens financiers nécessaires à sa promotion et à une communication pouvant toucher un plus large public. En France, l’approche pédagogique autour de cette discipline n’est surtout pas abordée par les diverses écoles d’art.

Son refus de rentrer dans un système commercial ne lui donne aucune aura auprès des entrepreneurs de cette société marchande toujours plus encline au profit.

Sa résistance au phénomène de mode ne lui renvoie qu’un faible écho médiatique. 

La liberté de cette forme artistique prend donc une importance capitale et nous devons être vigilant à préserver son existence.

Au terme de baromètre, il convient de rajouter celui de contrepoids indispensable à notre société actuelle. J’ajouterai le rôle de rebelle solitaire tenu par les performeurs et les organisateurs de Festival de Performance.

Il n’est nul besoin de revitaliser l’art performance, car cette discipline continue d’exister et de se développer tout autour du monde. Continuons à enfoncer le clou. À chaque événement, un public de plus en plus large prend part, découvre souvent aussi cette discipline artistique et l’apprécie. Full Nelson Festival 2002 à Los Angeles, organisé par Jamie Mc Murry, a réuni au moins 250 personnes dans un théâtre de Downtown.

Jamie Mc Murry, Festival Amorph 01, Finlande.

Cette forme de résistance active a toujours dérangé, car elle découvre des choses que l’on préfère ignorer. Sa principale qualité pour n’en citer qu’une serait son indépendance. Et ne paye t-on pas toujours pour son indépendance ?

Aujourd’hui plusieurs organisateurs et artistes mettent en avant le fait que la forme festivalière prend un aspect trop spectaculaire et remettent en question le concept même des festivals.

La prochaine réunion des Organisateurs Internationaux d’événements d’Art Performance (IAPAO, www .iapao.net) abordera certainement ce sujet. Elle va avoir lieu à Essen (Allemagne) pendant la 11e conférence sur l’Art Performance organisée par Boris Nieslony au début du mois d’avril.

L’association IAPAO servira, entre autres, à se faire connaître de nos ministères respectifs et à être enfin considéré en tant que part entière de la création artistique actuelle.

 Pour terminer, je signalerai l’importance du travail effectué à Québec par le Lieu dont Inter la revue est une source inépuisable de renseignements sur la Performance. Un pavé de 500 pages, intitulés l’Art Action de 1958 à 1998 couvre 4 décennies de pratiques artistiques dans l’action.

Je veux citer aussi le travail de recherche énorme entreprit par Boris Nieslony en Allemagne et visible sur le site : www. asa. de.

Et vous informez que le FRAC Corse a acheté une performance d'Akenaton en 1998.

À ma connaissance, cela ne s’est, hélas, pas renouvelé depuis.

Sylvie Ferré

 

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