Nové Zamky, cœur du monde !

En Slovaquie, dans une petite ville de 30 000 ha, à égale distance de la frontière entre la Hongrie et l’Autriche, à Nové Zamky  précisément, se déroule régulièrement un Festival de Performances qui attire et réunit dans ce coin reculé au pied des Carpates des artistes d’origine aussi diverses que peuvent l’être leurs propositions artistiques. Pour le 15e anniversaire du Festival TransArt Communication, sous le couvert de Studio Erté, créé et dirigé par Jozsef Juhasz, artiste et poète, une quarantaine d’artistes ont été invités, venant aussi bien des pays de l’Est, que d’Europe, Asie, et Amériques.

Ce rendez-vous artistique bien connu des milieux performatifs permet des rencontres inattendues, parfois surprenantes mais toujours d’importance. Et des capitales environnantes viennent non seulement artistes et professionnels mais aussi un public averti, à la recherche unanime de sensations originales et de moyens d’expression innovants, de créations outrepassant les conventions habituelles, en quête de cet espace de liberté que définit l’Art Performance.

La générosité de Juhasz et son grand professionnalisme contribuent à rendre ces 3 jours inoubliables. D’autant plus que par une annonce publique il a certifié que l’événement d’octobre 2002 était le dernier sous la forme festivalière et qu’il songeait à transformer ce Festival désormais référencé parmi les plus importants d’Europe de l’Est pour lui donner une dimension plus profonde, plus axée sur la théorie, avec moins de participants et avec la ferme décision d’optimiser les possibilités d’éditions. Depuis 1987, Studio Erté a monté sans relâche une quinzaine d’événements, et pour mémoire en 1998 a invité 100 artistes dans la même manifestation. Il est vrai qu’il a dû faire le tour des diverses alternatives offertes par la pluridisciplinarité et la multiplicité de tous ces participants.

N’ont-ils pas d’ailleurs très astucieusement avec le poète Otto Meszaros, son ancien associé, utilisés les toilettes des hommes pour présenter une performance qui prit la forme d’un règlement de compte oral et public avec gifles de mousse à raser, sous l’accompagnement musical de Zsolt Zorés ? (voir photo 1).

Multidisciplinarité oblige, les artistes n’ont négligé ni la danse, ni la musique, ni les images. Les différents médiums ont été abordés. Les festivités ont commencé avec la transe épileptique du danseur japonais Ryuzo Fukuhara, un adepte du Butoh, on l’aura compris. Sa chorégraphie accompagnait le son du new yorkais Michael Delia, et vice-versa.

Les 2 musiciens Hongrois Zsolt Zorès et Zsolt Kovacs, membre de SKY ont accompagné le superbe film de Kenneth Anger : « Scorpio Rising » (1963-1967), trop rarement montré. Ce cinéaste de Los Angeles grâce à aux nouvelles structures symboliques, abstraction et collage a transformé l’interprétation de l’image. En filmant son sujet de très prés, allant parfois jusqu’au flou, en détruisant les tabous dans une approche à la fois sensuelle et poétique, Kenneth Anger illustre les débuts du Pop Art. Son esthétique et sa façon de filmer ont largement influencé, entre autres, David Lynch.

L’Europe et le nationalisme ont été bien sûr le sujet de plusieurs des actions. La « Future Jeanne d’Arc » polonaise a joué avec érotisme sur un texte de Asherson traitant des espaces d’identités. Jozsef Juhasz a fait une "install'Action" dans laquelle l’Europe se trouve en perpétuel recommencement. Mo Lin, le Taiwanais, a brûlé son drapeau et son passeport, non par provocation, mais parce que, dans son pays, on accroche le passeport au pied du mort pour son dernier voyage. Comme un signe d’immortalité. (Photo 2)

Ewa Rybska et Wladislaw kazmierczak ont même osé « I like America, America likes me », une parodie de la performance de Josef Beuys avec le coyote réalisé aux USA.

L’Israélienne Adina Bar-On assise avec une feuille de papier glacé rouge étalée sur ses genoux, démontra combien ténue peut-être la proximité entre construction et destruction. (Photo 3)

Les Slovaques misèrent sur l’humour. Peter Kalmus se mit à la disposition de tous pendant toute la durée du Festival, chacun pouvait l’utiliser comme porteur, coursier, valet, bref comme garçon à tout faire. Lengow and Hermès avec beaucoup d’esprit firent participer à leur scénario la plupart des spectateurs.

Sur le même ton, entre farce et tragédie, la Canadienne Myriam Laplante mêla ridicule et comique, recourant fréquemment au déguisement et aux jeux de rôles, cinglant les attitudes humaines dans un théâtre parodique grinçant. (photo 4)

Le poète Julien Blaine pour la participation française a montré en première partie la vidéo de sa performance datant de 1986, intitulée « Chute =chut », pendant laquelle il tombe dans des escaliers de la gare Saint Charles à Marseille, du haut jusqu’à la dernière marche et termine couché par terre, le doigt devant la bouche prononçant les yeux fermés : « chut ! ».

Puis avec « Ecfruiture », il a écrasé pieds nus divers fruits, utilisant leurs noms en partition sonore, en trilles et vocalises jusqu’à la chute finale sur la banane. (Photo 5)

Les 2 performances des Japonais Seiji Shimoda et Sakiko Yamaoka ont exploré aussi le genre poétique. Le premier est l’illustre organisateur du NIPAF, Festival qui tourne désormais dans plusieurs pays d’Asie. La seconde, debout sur une table, les yeux bandés, vêtues d’une très longue robe de coton épais laissant juste voir ses chevilles et pieds nus. De son ample vêtement chutaient billes colorées et clochettes dorées ou argentées, très lentement d’abord, puis en grande quantité, telles des poussières d’étoiles scintillantes et musicales, de plus en vite. (photo 6)

Le Roumain Gustav Utö dont le Festival AnnART est suspendu hélas en attente de – dirions-nous – jours meilleurs, par l’emblématique signe de l’infini répété à profusion par un balai poussant un cube d’allumage enflammé permettra à chacun d’interpréter le symbole de cet ex-voto.

Les interventions programmées dans l’espace public, sur la place principale du village, furent plus brutales. L’Américain Skip Arnold enroulé telle une momie dans plusieurs épaisseurs de plastic transparent, couché sur le sol, intrigua les passants jusqu’à ce qu’une bande de jeunes commence à lui donner des coups de pied, ce qui marqua la fin de son action (Photo 7). Le Hollandais Peter Baren reprenait des attitudes de mendiants tout autour de la statue principale, pendant que les 2 allemands Helge Meyer et Marco Teubner, membres de system HM2T, se scotchaient autour du corps des pierres très lourdes sur lesquelles étaient écrits les principaux défauts de notre époque. Puis ils se lançaient de l’un à l’autre ces pavés jusqu’à ce que ces derniers tombent par terre compte tenu de la difficulté de l’exercice, prématurément terminé, l’un des deux s’étant grièvement blessé. (Photo 8). La Performance a parfois ses dérapages et le corps ses limites.

Heureusement, Boris Nieslony pour clôre cette 15e édition improvisa une superbe gestuelle sur des chants indiens chamans sud américains. Un moment limpide et intense et d’une rare beauté.

Les conférences ont abordé un aspect plus théorique et ont clairement laissé paraître le désir de présenter dorénavant des Festivals ou événements d’Art Performance sous une forme moins spectaculaire, Préoccupation que l’on ressent vive depuis quelque temps parmi les diverses nationalités d’organisateurs qui se rencontrent régulièrement.

 À noter la prochaine et première réunion officielle à Essen en Allemagne de l’Association Internationale des Organisateurs d’Art Performance (IAPAO, www.iapao.net), regroupant déjà plus de 120 membres à travers le monde. Ce rendez-vous aura lieu en avril pendant la 11e Conférence sur l’art performance organisé par Boris Nieslony.

Le point important de ces rencontres fut la présentation de la « Carte de la Performance » : « Performance-Art Kontext », co-éditée pour l’occasion par la revue Magyar Mühely à Budapest, E.P.I. Zentrum et ASA European (www.asa.de), fruit du travail de plusieurs années de l’artiste-organisteur-professeur Boris Nieslony et du philosophe-scientifique Gerhard Dirmoser, tous deux allemands.

Gigantesque représentation du monde de la Performance dont la forme basique est celle d’un œil, ce diagramme impressionnant résume en détail l’histoire et la bibliographie de l’Art Performance depuis plusieurs décades.

Asa European a recherché toutes les terminologies utilisées par les artistes et théoriciens pour décrire leurs activités comme cadre culturel, ethnographique ou anthropologique dans toutes formes de société. Le diagramme démontre la difficulté d’établir des règles basiques au vu de la définition de la Performance et pointe la richesse trouvée dans la différence des actes humains. Cela permet de comprendre comment la Performance et les Arts Performatifs développent les relations et réseaux. Il a été trouvé environ 140 termes et cette recherche ouvre des directions pour percevoir, refléter, voir et entendre, comment les choses se font et interagissent.

Un exemplaire de la « Carte de la Performance » a été déposé et est visible à la MAPRA (Maison et centrale d’informations des Arts Plastiques en Rhône-Alpes, www.mapra-art.org).

Sylvie Ferré

 

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