Internet représente une immense possibilité de distribution
sinon la seule, pour les oeuvres littéraires, qui par leur nature
spécifique sont inséparables de l'ordinateur. Pour mieux
cerner ce problème, il me semble nécessaire de mettre
en évidence les aspects de la littérature d'aujourd'hui
selon que les oeuvres potentielles présentent ou non des affinités
avec le monde informatisé. a) Actuellement, on peut utiliser l'ordinateur comme un magnétophone,
y faire les mêmes manipulations au niveau du son ; toutefois,
l'oeuvre ainsi créée se manifestera toujours d'une manière
linéaire, (c'est-à-dire statique) dans ses répétitions
- ce qui revient à dire que l'ordinateur n'est pas un outil indispensable.
b) Avec l'aide de certaines cartes dédiées à la
parole (p.ex. la carte Firma) le créateur a la possibilité
de bâtir des textes à partir des consonnes et voyelles
générées par l'ordinateur. L'ouvre sera liée
à jamais à la machine génitrice, mais elle sera
identique dans ses répétitions. Au début des années
80, Claude Maillard a créé plusieurs oeuvres de ce type:
Sat.L.Robot, Mnésis etc. c) Le son peut être traité sur ordinateur en temps réel,
et y subir des transformations réversibles (retardement, changement
de hauteur, écho etc.) selon un déroulement défini
par l'auteur. Dans ce cas, chaque représentation sera unique,
non pas seulement par le changement de déroulement mais aussi
par les variables mises en oeuvre par le programme. Les oeuvres de Larry
Wendt en sont les exemples parfaits. d) On peut générer des oeuvres sonores, exactement comme
des oeuvres textuelles, à partir des données sonores avec
un programme automatique. D'un point de vue général, on peut distinguera quatre grandes familles littéraires liées réellement ou prétendument à l'ordinateur : 1) les oeuvres écrites, sonores ou visuelles, déposées sur ordinateur liées à un état de conservation et/ou visualisation statique ; 2) les oeuvres hypertextes ou écrits générés automatiquement par ordinateur ; 3) les oeuvres audio-visuelles générées par ordinateur ; 4) les performances liées à l'ordinateur. Pour nous, seules les oeuvres littéraires entrent en jeu, c'est-à-dire
les ensembles littérairement pertinents. Sans vouloir les dénigrer,
nous considérons que les ensembles littérairement inqualifiables
bien que générés par ordinateur et linguistiquement
implacables dans notre réflexion actuelle, ne doivent pas retenir
notre attention, même si leur réalisation procède
d'une démarche singulière. Par ailleurs, au cas où
un générateur de textes ne donne naissance que d'une manière
intermittente à des ensembles littérairement performant,
les quelques vraies oeuvres ainsi créées devront être
considérées comme un sous-ensemble statique. On peut rapidement
se rendre compte que ce sous-ensemble comporte en lui-même d'un
côté des traits statiques par le fait qu'il faut examiner
un par un ses éléments pour les qualifier et de l'autre
des traits dynamiques liés à la génération
automatique. Celles de la deuxième famille sont, par essence, inséparables
du milieu informatique. Elles sont nées avec l'ordinateur et
prospèrent en accompagnant le perfectionnement de celui-ci. Dans
le genre hypertexte littéraire, citons Storm d'Edouardo Katz
; pour les textes générés automatiquement, citons
le travail de Jean-Pierre Balpe. Celle de la troisième famille comprennent des oeuvres sonores,
qui ne sont pas obligatoirement liées à l'ordinateur,
comme Ourlure de Claude Maillard et de Tibor Papp, ainsi que des oeuvres
visuelles, qui ne sont pas inséparable de la machine, comme les
poèmes visuels statiques, donnés sur écran ou publiés
dans les publications sur papier, mais réalisés sur ordinateur.
Les oeuvres visuelles dynamiques peuvent se concrétiser dans
un déroulement unique ou des déroulements multiples. Le
déroulement unique engendre des oeuvres linéaires ; leur
existence n'est donc pas liée à l'ordinateur (Elles s'apparentent
aux diaporamas ou aux oeuvres vidéos.) Le déroulement
multiple signifie que l'oeuvre est inséparable du milieu de sa
création, c'est-à-dire de l'ordinateur. Celles de la quatrième famille sont pour le moment les moins
fournies ; elle comprennent des oeuvres dont les éléments
constitutifs sont ceux des performances littéraires, parmi lesquels
il y a obligatoirement au moins un élément généré
par ordinateur. On peut citer comme exemple parfait le Santa Rosa 1905
de Larry Wendt. De retour sur Internet, notre première remarque concerne les
oeuvres littéraires statiques ; parmi elles, en premier lieu,
les textes écrits. Ces oeuvres sont inconfortables sur Internet
; la lisibililté sur écran laissant encore beaucoup à
désirer. Comme elles sont immuables, le temps n'a pas de prise
sur elles ni dans le bon ni dans le mauvais sens, et c'est justement
cela, qui les différencie des « données »
quelconques ; aussi ne pourrissent-elles jamais, même si elles
ne sont pas renouvelées quotidiennement.
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