doc(k)s datas / d*bats /
TIBOR PAPP 


retour
TypeStyler Object

 

Internet représente une immense possibilité de distribution sinon la seule, pour les oeuvres littéraires, qui par leur nature spécifique sont inséparables de l'ordinateur. Pour mieux cerner ce problème, il me semble nécessaire de mettre en évidence les aspects de la littérature d'aujourd'hui selon que les oeuvres potentielles présentent ou non des affinités avec le monde informatisé.
Tout d'abord constatons que, de nos jours la littérature n'est pas uniquement composée de textes écrits (typographiques) qu'ils soient ou non déroulés linéairement (c'est-à-dire liés ou non à l'ordinateur) ; depuis une cinquantaine d'années, en effet, le sonore et le visuel s'y sont introduits subrepticement comme éléments constitutifs. Ainsi dans le champ littéraire dépendant de l'ordinateur, on doit tenir compte aussi bien des oeuvres sonores, que des oeuvres visuelles, ou combinés, c'est-à-dire audio-visuelles, sans oublier les performances régies par ordinateur.
En ce qui concerne les oeuvres sonores, représentations artistiques de la langue orale, nous devons faire les mêmes distinctions qu'avec les oeuvres textuelles, c'est-à-dire constituer deux groupes, l'un comprenant les oeuvres inséparables de l'ordinateur, l'autre comprenant celles dont l'existence n'est pas liée à l'ordinateur..

a) Actuellement, on peut utiliser l'ordinateur comme un magnétophone, y faire les mêmes manipulations au niveau du son ; toutefois, l'oeuvre ainsi créée se manifestera toujours d'une manière linéaire, (c'est-à-dire statique) dans ses répétitions - ce qui revient à dire que l'ordinateur n'est pas un outil indispensable.

b) Avec l'aide de certaines cartes dédiées à la parole (p.ex. la carte Firma) le créateur a la possibilité de bâtir des textes à partir des consonnes et voyelles générées par l'ordinateur. L'ouvre sera liée à jamais à la machine génitrice, mais elle sera identique dans ses répétitions. Au début des années 80, Claude Maillard a créé plusieurs oeuvres de ce type: Sat.L.Robot, Mnésis etc.

c) Le son peut être traité sur ordinateur en temps réel, et y subir des transformations réversibles (retardement, changement de hauteur, écho etc.) selon un déroulement défini par l'auteur. Dans ce cas, chaque représentation sera unique, non pas seulement par le changement de déroulement mais aussi par les variables mises en oeuvre par le programme. Les oeuvres de Larry Wendt en sont les exemples parfaits.

d) On peut générer des oeuvres sonores, exactement comme des oeuvres textuelles, à partir des données sonores avec un programme automatique.
Les oeuvres visuelles statiques (dont l'existence remonte à la littérature greque) ou dynamiques sont les quintessences artistiques de la langue visible. Pour qu'une oeuvre de ce genre soit inséparable de l'ordinateur il ne suffit pas de la créer avec les outils très performants des logiciels actuels, il faut les doter des effets spécifiques, tels le combinatoire, l'aléatoire ou l'intermédialité.. En plus, il faut se rendre à l'évidence que même si l'aspect de l'ouvre est fort connoté par son origine, elle n'est pas obligatoirement liée à l'ordinateur. De la même manière que les oeuvres sonores, les visuelles peuvent être classées en différents groupes selon leur mode de création et selon leur déroulement unique ou multiple.

D'un point de vue général, on peut distinguera quatre grandes familles littéraires liées réellement ou prétendument à l'ordinateur :

1) les oeuvres écrites, sonores ou visuelles, déposées sur ordinateur liées à un état de conservation et/ou visualisation statique ;

2) les oeuvres hypertextes ou écrits générés automatiquement par ordinateur ;

3) les oeuvres audio-visuelles générées par ordinateur ;

4) les performances liées à l'ordinateur.

Pour nous, seules les oeuvres littéraires entrent en jeu, c'est-à-dire les ensembles littérairement pertinents. Sans vouloir les dénigrer, nous considérons que les ensembles littérairement inqualifiables bien que générés par ordinateur et linguistiquement implacables dans notre réflexion actuelle, ne doivent pas retenir notre attention, même si leur réalisation procède d'une démarche singulière. Par ailleurs, au cas où un générateur de textes ne donne naissance que d'une manière intermittente à des ensembles littérairement performant, les quelques vraies oeuvres ainsi créées devront être considérées comme un sous-ensemble statique. On peut rapidement se rendre compte que ce sous-ensemble comporte en lui-même d'un côté des traits statiques par le fait qu'il faut examiner un par un ses éléments pour les qualifier et de l'autre des traits dynamiques liés à la génération automatique.
Les oeuvres de la première famille sont celle que l'on rencontre un peu partout dans le monde sur Internet: romans, essais, poésies de facture classique etc. « étalés » sur le Web par les bibliothécaires ou les particuliers.

Celles de la deuxième famille sont, par essence, inséparables du milieu informatique. Elles sont nées avec l'ordinateur et prospèrent en accompagnant le perfectionnement de celui-ci. Dans le genre hypertexte littéraire, citons Storm d'Edouardo Katz ; pour les textes générés automatiquement, citons le travail de Jean-Pierre Balpe.

Celle de la troisième famille comprennent des oeuvres sonores, qui ne sont pas obligatoirement liées à l'ordinateur, comme Ourlure de Claude Maillard et de Tibor Papp, ainsi que des oeuvres visuelles, qui ne sont pas inséparable de la machine, comme les poèmes visuels statiques, donnés sur écran ou publiés dans les publications sur papier, mais réalisés sur ordinateur. Les oeuvres visuelles dynamiques peuvent se concrétiser dans un déroulement unique ou des déroulements multiples. Le déroulement unique engendre des oeuvres linéaires ; leur existence n'est donc pas liée à l'ordinateur (Elles s'apparentent aux diaporamas ou aux oeuvres vidéos.) Le déroulement multiple signifie que l'oeuvre est inséparable du milieu de sa création, c'est-à-dire de l'ordinateur.
L'essentiel de la deuxième famille est composé d'oeuvres de ce dernier type, qui par conséquent sont inséparables de l'ordinateur. tels les poèmes sonores générés ou les poèmes visuels générés par ordinateur. Le Poéticoncerto pour «TCH» de Tibor Papp est un poème sonore généré par ordinateur, l'Amour de Philippe Bootz ou Le mange-texte de Jean-Marie Dutey sont des poèmes visuels générés par ordinateur. La catégorie audio-visuelle de cette famille comprend les oeuvres qui utilisent aussi bien des données sonores que des données visuelles générées par l'ordinateur ; l'Argentina de Claude Maillard et de Tibor Papp en est un exemple.

Celles de la quatrième famille sont pour le moment les moins fournies ; elle comprennent des oeuvres dont les éléments constitutifs sont ceux des performances littéraires, parmi lesquels il y a obligatoirement au moins un élément généré par ordinateur. On peut citer comme exemple parfait le Santa Rosa 1905 de Larry Wendt.

De retour sur Internet, notre première remarque concerne les oeuvres littéraires statiques ; parmi elles, en premier lieu, les textes écrits. Ces oeuvres sont inconfortables sur Internet ; la lisibililté sur écran laissant encore beaucoup à désirer. Comme elles sont immuables, le temps n'a pas de prise sur elles ni dans le bon ni dans le mauvais sens, et c'est justement cela, qui les différencie des « données » quelconques ; aussi ne pourrissent-elles jamais, même si elles ne sont pas renouvelées quotidiennement.
Notre deuxième remarque concerne les oeuvres inséparables de l'ordinateur, celles qui sont en parfaite harmonie avec le média. On a envie d'avancer qu'Internet a été inventé pour elles. Internet est un outil de temps ; il est la fenêtre de l'immédiat. Étant donné que les oeuvres dynamiques se renouvellent sans cesse d'elles-mêmes, et n'ont pas besoin de mise à jour, ce qu'elles font lire ou voir est le fruit de l'instant.

 

Ce texte a été publié dans DOC(K)S/Alire, 1997