---------C’est par les trous que l’on respire            Ph. Castellin

 

 

1/ Pourquoi ce “chantier” a-t-il été si long à publier?

 

- Parce qu’il n’y a pas seulement 400 ou 500 pages de texte ou images mais une galette de 50 g, le DVD, et que c’est très long à faire, un DVD standard, lisible sur n’importe quel lecteur de salon... Une aventure, où, on the road again,  il s’est agi again de transporter again des montagnes sur elles-mêmes. Car il n’est pas évident de rassembler les videos d’une centaine de perfs, merci vous tous, merci la poste, d’en homogénéiser les formats, merci sony, merci quicktimetm, de sélectionner les objets, de les monter, merci imovie, merci Première, de les coder DVD, merci Cleaner, etc: et je te transcode de DV NTSC en DV Pal, et je te le compresse en MPEG 2, à combien le taux,??? et je te l’authorize, thanks DVD Studio , et merci David, et merci Gérard, et je te le grave grave, et ça ne marche pas, et toujours pas, et c’est peut être à cause de, ou à cause de et à moins que, et merde et bis et ter: GOP, vous avez dit GOP, c’est quoi, c’est quoi une i frame, c’est quoi la différence entre un DVD Rom, un DVD+, un DVD-, un DVD rom un DVD Ram, un DVD authoring, un DVD vidéo???-------ah ouii....i. Bref: (__________) : entre vos mains, ecco, le résultat, 1k200 de papier, + 50 g d’une  galette brillante, voici , avec plus de données que l’encyclopedia universalis, here ACTION_DOC(K)S , chantier ouvert de longue date, celui de la performance (qui fait un peu US), de l’art “action” (qui fait un peu directe) ou contextuel (qui fait un peu polonais) ou comportemental (qui fait allemand tendance documenta 8) ou corporel (qui fait un peu vieux) ou ou ______mais on s’en tape, la poésie est sans étiquette,  la poésie est sans épithète, ça c’est de moi, le poème est en chair et en os, ça c’est Jules, roulements de tambour, trompettes, canon, amour castagnettes & tango, ça c’est Jean. Nous sommes une grande famille. Le poète n’est pas tout seul. Feuilles d’un même arbre. Une aventure comme celle-ci est un mandat. Social. Merci le CNL. Merci la Collectivité Territoriale Corse. Merci Monsieur l’Imprimeur, merci le flasheur, merci à tous. La poésie n’est pas un fabliau. Merci Paul. La technique fait partie. On ne s’élance pas dans le Paris Dakar sans savoir régler ses injecteurs. Il n’y a plus d’injecteurs. C’est électronique. Merci Williams. Bon. Un poète tout seul c’est un clou sans marteau, c’est un marteau sans tête, merci René. Et c’est parti, again again, à secouer l’arbre des codes...

 

----------------------------------------------------où j’en étais ?

 

2/ Est-ce bien utile de se donner tout ce mal?

 

 

- Utile, inutile... À quoi? ...A qui?...Il existe bon nombre, enfin, il existe un certain nombre de livres ou revues où l’on peut trouver des informations concernant la performance: les publications d’Inter, le livre d’Arnaud Labelle-Rojoux, et DOC(K)S, à coup sûr le premier objet de poésie à s’être systématiquement intéressé à la perf dès 76. Mais hic!, ce sont des livres: or la performance, comme d’ailleurs d’autres formes de la poésie expérimentale, ne peut se comprendre qu’en référence à la volonté de détrôner le livre de sa position de medium-roi de droit divin... Pour nous, ce chantier est donc à raccorder à la perspective, commune  aux parutions antérieures (  Soft DOC(K)S, à propos de la poésie informatique avec son CDrom, dès 96, DOC(K)SON, avec ses 2 CD audio, à WEB_ DOC(K)S avec son inventaire des sites et son CD Rom) celle de la relation entre la poésie, le livre et les nouveaux supports. Enquête, certes, pas du tout étrangère aux deux premières séries:  les chemins tracés par la poésie visuelle et le recours à l’image photographique la soulèvent par force; la première en donnant sur l’espace plastique, la seconde sur ce qu’elle documente. Tout ça, et depuis très très longtemps (déjà!) ,tourne autour du livre, du livre en question, mis à la question. Normal: tel qui s’est voulu centre et soleil s’expose aux supplices de la roue ... Pourtant, si DOC(K)S, depuis sa naissance et jusqu’à l’an 1990 pousse (indéfiniment) le livre à ses limites, il ne les transgresse pas, il les distend et la performance (item pour la poésie sonore) s’y manifestera seulement par la “partition” (avec un traitement proche de la poésie visuelle) ou par le reportage photo; ce qui gêne, le livre étant ce qu’elle (la performance) d’abord fuit. Ici, le thème central devient celui de la spécificité, de la perte, des résidus, de la traduction ou plutôt du transcodage. Soit: qu’est-ce-qu’un support, dans un contexte déterminé permet en propre, et lui seul? - Et la bande magnétique? Et le Cd Rom? Et la vidéo? Et le livre?  Et leur co-présence, modulaire et systémique ? Et la possibilité combinatoire, aujourd’hui offerte, d’organiser des cohabitations, de régir des voisinages, de construire des dispositifs qui cessent d’être hélio (biblio...) centrés, fussent-ils mono-media. C’est la question de l’intermedia, à distinguer bien sûr de la pure addition de media parallèles les uns aux autres, puisque intermedia veut dire articulation, intégration, système. C’est alors, qu’à la recherche de l’articulation adéquate à la performance  la vidéo se présente, et le DVD, hors le livre...

 

3/ Vous auriez pu faire un CD ou une VHS ou un DivX...

 

- Oui, c’est plus simple et ça coûte moins cher. Mais voilà: le DVD aujourd’hui est le support standard et nous tenons absolument à ce que DOC(K)S (et les “objets” qui l’accompagnent) soient standards. C’est une option cohérente avec toute l’histoire de DOC(K)S, par exemple avec le choix de l’offset, du moyen tirage, de l’utilisation massive de la photo etc.  A sa manière DOC(K)S a toujours été standard, jamais luxe,  papier velin, artisanat haut de gamme, culture XVI ou V° ardt. . De même, l’option DVD correspond au fait que quand on demande aux gens ce qu’ils vont acheter en masse pour Noël 2003 ils répondent; un lecteur DVD de salon. Grâce à DOC(K)S les gens auront quelque chose d’intéressant à mettre en 2004 dans leur lecteur. C’est le souci du plus grand nombre. Avec la qualité en prime! . L’oeil moderne s’est habitué à la norme DVD, il est devenu un oeil numérique, on ne peut plus le berner avec des images pourraves, le plaisir compte, la facilité compte, la poésie ne doit pas être faite pour des érudits enneigeux capables de décrypter du V2000 en noir et blanc, elle doit être faite pour l’oeil numérique de la masse moderne. Inutile de compliquer l’accès aux choses, surtout à celles qui se veulent ouvertes. - la poésie performance n’est pas comme la linéaire, écrite, qui est une chose de lettrés. La poésie performance sort du livre, elle tient à toucher des gens en dehors du circuit des livres. C’est le souci de tous, potentiellement; on utilise des codes qui sont ceux de la culture d’en bas, l’audio visuel; même les analphabètes peuvent voir une performance sur leur téléviseur , ou un DVD, surtout un DVD. Et ce sont les plus pauvres, cf. les statistiques, qui sont les plus analphabètes, eux qui regardent le plus la télévision & à qui l’on vend le plus de lecteurs DVD pour la Noël. Vous voyez?- Notez bien que ça reste vrai même si seulement 20 personnes au monde regarderont ce DVD. Il ne s’agit évidemment pas de chiffres mais de réception, du lecteur que l’on projette.

 

4/ Comment définiriez-vous la performance?

 

-D’abord:  prendre des gants, une paire de gants bien épais, bien fourrés, peut être même des gants de boxe. Puis tourner 7 fois la langue dans la bouche. Après cette entame, quelques rappels , un peu d’histoire, des avant-gardes jusqu’aux events Fluxus en passant par Gutai et le happening, Cage et Kaprow, et aussi un coup de chapeau aux sonores, à Dufrenne, à Heidsieck et à la poésie action.  Après, on arrive à la performance, disons au début des années 80, bien que le terme soit d’usage très antérieur, vers 65, et sans qu’on sache exactement qui fut le premier à l’utiliser, peut être David Medalla. Il faut demander ce genre de choses à Jacques Donguy ou à Arnaud, ils savent, eux. Au delà, on pourrait indiquer des critères, des “traits” qui permettent de penser que l’objet auquel on à affaire relève de la classe “performance”. Parmi ces traits: la présence physique du performer, et donc le caractère basiquement intermedia de la situation, l’existence d’un public et d’une attente (la performance présuppose le monde de l’art et se réfère toujours à lui, fût-ce de façon violemment critique), la réalisation en direct et en temps réel d’une action, de la plus banale, comme marcher, jusqu’à la plus sophistiquée, la plus saugrenue ou la plus provocatrice. Ce sont des traits qui cernent un domaine.

 

5/ À  ce compte, vivre et “performer” c’est tout un!

 

- Non, car il y a le Public. La performance est comme le ready made duchampien, elle n’existe que par le Regardeur, qui est une instance complexe, avec toute la chaine, critiques, historiens, spectateurs variés, autres artistes etc. à laquelle l’oeuvre est adressée. Le ready made consiste à déplacer des objets, à les changer de contexte, à les offrir à un nouveau regard; la performance, elle, déplace des actions. Si le Public ne voit pas qu’il y a une performance, ou s’il ne le sait pas, si manque le “regard de l’art”, alors il n’y a pas de performance. L’inverse peut aussi se produire,La scène est là, tout est OK, et il y a ce type qui est en train de faire un truc, à quatre pattes, mais peut-être que c’est l’électricien?- Une anecdote: suite à un malentendu, au cours d’une soirée, celui qui devait “agir” resta tranquillement à sa place; plusieurs minutes s’écoulèrent, dans le plus grand silence des spectateurs qui observaient le performer (il ne performait nullement!) avec une telle intensité qu’il se mit à émettre, on le comprend, toute la gamme des signaux, tics, mouvements du corps etc caractéristiques de la gêne qu’il éprouvait, proche de l’angoisse...Évidemment, cette  réaction fut interprétée par le public comme constituant la  performance attendue, qui, en ce sens, “eut lieu”, - bien que pur produit d’une hallucination collective! - Une action dédiée au regard du Public et l’intégrant, voilà le centre de la performance. Même s’il n’y a personne, même si le public n’est matériellement pas là... Il s’agit du regard abstrait que la performance intègre.

 

6/ le centre, ça n’est pas le  performer?

 

- Non. Quand il vient en avant c’est l’action qui le veut. Si je choisis de parler, immobile, de ma vie la plus privée devant tout le monde, on pourrait croire que je suis au centre mais non: le vrai centre est “il y a quelqu’un qui parle de sa vie la plus privée en public”, ce qui est une action au même titre qu’un ensemble de gestes qui débouchent sur la construction d’un espace plastique, sonore ou ce qu’on voudra; de même, si quelqu’un se déshabille et agit tout nu, la vraie question n’est pas celle de “son corps” mais du fait qu’il se déshabille, et de cette action, du sens qu’elle peut prendre dans le contexte...

 

7/ Et l’Irrépétable? et l’Éphémère? et le Risque? Est ce que ce sont pas eux aussi des traits essentiels de la performance ?

 

-Peu de performances sont totalement improvisées  ou 100% contextualisées. À rebours, la performance, même exécutée à partir d’une partition très rigoureuse, possède toujours une bonne marge d’aléatoire; comme nous ne sommes pas dans l’ordre de la représentation mais dans celui de l’action, la performance la plus “réglée” intègre de nombreux éléments du contexte, elle lui est très “sensible”, plus en tous les cas que les situations où d’emblée la frontière entre l’art et le monde se voit soulignée avec insistance, espace scénique, recours à des costumes, accessoires, décor, lieux attribués, masques, que sais-je... L’autre facteur, qui accroit la dépendance de la performance à l’aléa, c’est le performer. Et peu importe de savoir si il improvise ou pas, la bonne question est “dans quel état général” il se trouve. De cet état va dépendre - comme dans la vie quotidienne- la manière dont l’action sera effectuée, la même action. Quant à l’éphémère de la performance, voilà un propos encore moins clair. S’il s’agit du fait qu’après la performance il ne reste “rien”, d’abord c’est loin d’être toujours le cas, il peut y avoir des objets, des traces, et puis aussi est-ce que cet “éphémère” de la performance n’apparait pas uniquement quand on la rapporte aux arts plastiques ou au livre ??? - Quoi par rapport à la musique? Au théâtre? A une lecture de poésie sonore? À moins au fond, qu’éphémère ne veuille dire la même chose qu’irrépétable: que ce que j’ai vu ou fait un soir je ne sois pas du tout assuré de le voir le lendemain ou de le refaire à l’identique... Bref, ces caractères ne sont pas vraiment essentiels, pas vraiment discriminants. D’autant moins, après tout, qu’on connait peu d’objets d’art (ou pas) qui ne soient “éphémères”, les conservateurs passent leur temps à re-lifter les objets d’art les plus “classiques”, les bibliothécaires à exterminer moississures et  champignons... Quant à l’irrépétabilité, la magie d’un soir etc., tous les artistes de la scène, chanteurs ou acteurs, ne cessent de l’évoquer à leur propos. Le “risque”, c’est la même chose. Il y a une prise de risque inhérente à la performance dans la mesure où l’on sort des codes, où l’on sort du livre et où si on se plante ça va être en direct, lamentablement, impitoyablement, sans filet. Mais trop souvent le terme de risque est entendu avec d’autres sens, en liaison au danger ou à lasouffrance physique par exemple. Or un tel risque, présent dans certains cas, on peut penser aux performances de Burden, n’est pas du tout une généralité. Si nous le croyons c’est peut être à cause des connotations particulières du mot performance en français, exploit, chose exceptionnelle etc. il suffit pourtant de substituer action ou activité à performance pour lever cette ambiguité. On peut faire une performance sans prendre le moindre risque “physique”, une performance ça n’est pas du tout synonyme d’un épisode extrème, sado-maso, avec du sang qui gicle et des corps qui se pâment d’extase ou de douleur: cet aspect ne concerne, et encore, que des tendances déterminées. A côté du body art et des actionnistes il y aFilliou, il y a Fluxus, il y a ZAJ. La seule constante est la transgression représentée par le déplacement d’une action tout à fait réelle, quelle qu’elle soit, dans le monde de l’art, l’offrande de cette action au regard de l’art. Si on y réfléchit, c’est là que les “tragiques”, avec ou sans outrance, et les autres tendances, plus soft, se retrouvent, dans cet espace très spécifique de la performance où quelque chose oscille entre l’art et la vie, une zone non assignée, un espace trouble La prise de san g de Journiac (ou d’autres, après lui!) n’est pas “jouée”, pas plus que les actions de Serge III ou que les chutes de Julien Blaine sur les escaliers de la gare Saint Charles. Et en même temps il est clair que ces actions sont placées dans le contexte de l’art et que du coup, bien que n’étant pas jouées elles acquièrent (peuvent acquérir!- quand ça marche!) une autre dimension, où elles font sens, symbole, langage. Le sens minimum est d’ailleurs lui aussi commun à toutes les performances: il est précisément la mise en cause et en crise de tout ce qui peut et veut séparer absolument la vie de l’art ou l’art de la vie. La performance pointe comme cible les moments et les lieux où la vie passe à l’art, elle “apprend” à voir ces moments et à les faire surgir, elle démontre également que si la vie ne pénètre pas l’art, celui ci cesse de nous concerner. Par là elle dérange (peut déranger...) l’ordre établi, et toujours restauré: l’art d’un côté et la vie de l’autre. Elle ébranle cette cloison. Elle ne l’abat pas, elle la fait seulement trembler, osciller et on ne peut pas le lui reprocher. Outre que savoir ce qui pourrait l’abattre - et à quels prix? et qu’y aura t il derrière???- n’a rien d’évident, l’action performée ne peut devenir action tout court qu’en sortant de la sphère de l’art. en se faisant par exemple action politique.Ce qui n’implique pas de changement essentiel quant à l’action effectuée: c’est le contexte perceptif et réceptif qui se trouve globalement modifié... Sans d’ailleurs que ce passage de l’art à la cité signifie nécessairement un gain en termes d’efficacité “réelle”. L’action performative (celle qui continue à relever de la sphère de l’art) bénéficie au sein de la cité d’une sorte de droit d’asile dont on peut penser, certes, qu’il correspond à une forme d’exemption castratrice, mais dont on peut également estimer qu’il permet à l’action d’acquérir sa pleine dimension communicative et réfléchissante...Que la performance, en ce sens, demeure toujours une action symbolique ne marque pas une faiblesse ou une impuissance congénitale. Ceci indique ce que toute performance est: un acte de langage, un acte qui déclenche des mouvements dans le langage. Une “bonne” performance ça fait causer. Un acte tout ce qu’il y a de sérieux, de “pour de bon”, de “réel” style action directe, ça ne fait pas causer, les catégories sont déjà là, toutes prêtes à l’engloutir, à le bétonner définitivement

 

8/  Et  vous n’avez pas le sentiment de trahir la performance en présentant des vidéos?

 

- Dès lors qu’il y a art, il y a encodage, il y a des spécificités. Quand on passe d’un code à un autre, il y a des pertes, c’est comme pour la traduction. Alors si on veut nous dire que la performance en direct et la performance en vidéo ça n’est pas la même chose, oui, c’est vrai, et on peut même ajouter que dans un certain nombre de cas les pertes sont graves... Par exemple, en ce qui concerne le DVD, pour les actions qui sont suppposées durer très longtemps et qu’il a fallu condenser en quelques minutes. Cependant, outre que de toutes les manières la carte n’est pas le territoire, on peut commencer par se demander si, au final, le transcodage par la vidéo documentaire est celui qui respecte le mieux (le moins mal...) la performance live (par rapport au reportage textuel ou photographique )... Et là notre réponse est claire, c’est oui. Ensuite, non seulement il y a de nombreux cas où il est assez facile de rendre compte des performance par la vidéo, mais il arrive même que les “pertes” soient compensées par des bonheurs, des choses que la camera et elle seule parvient à révéler. Le rire idiot qui accompagne le twist beurré de Melati Suryadarno, c’est un rire de spectateur et c’est l’enregistement qui le montre tel, comme un élément sonore insupportablement lié à la performance. Autre chose: si l’on pense que la performance représente - comme la poésie sonore- la volonté d’échapper à la confidentialité que le livre génère, alors on voit mal comment elle n’aurait pas à affronter la question de son enregistrement et de sa diffusion; sinon, le remède risque d’être pire que le mal. Et puis il y a un certain type de discours autour de la performance qui - les mots d’éphèmère et d’irrépétabilité y interviennent fréquemment...- de facto aboutit à remettre en selle par rapport à l’oeuvre d’art des catégories très suspectes, très faisandées: le miraculeux, l’authenticité, l’originalité, l’oeuvre unique, sans parler de tout ce qui va conférer au performer, selon la même logique, une image elle aussi très mystificatrice, une sorte de torero, de coureur automobile, quelqu’un qui d’une manière ou d’une autre se trouve engagé sur la voix, par définition chrêtienne, d’un Sacrifice et d’une Consomption de soi. Au parallèle, ce genre de discours mystificateur où le sacré pointe le museau (le musée?) va déboucher sur une figure 100%mondaine, celle du collectionneur d’expériences uniques et de Reliques Précieuses comme des souvenirs: moi monsieur, j’y étais (en 1916, à Berlin, pour cette fameuse soirée qui...). Soyons clair: tout le monde n’a pas les moyens de se payer un voyage pour la prochaine perf. de Shimoda, à Tokyo, quand ça demain soir très chère...

 

9/En résumé, pour ce numéro, c’est le DVD qui est l’essentiel?

 

- Sans le DVD, il n’existe pas; quand on fait un numéro dont le centre est la poésie visuelle ou la déconstruction du texte et du livre, pas besoin de DVD ou de CD Rom; mais quand on fait un numero sur la poésie sonore il faut des CD audio, et quand on fait un numero perf. il faut un DVD: aujourd’hui DOC(K)S est  un dispositif qui articule plusieurs supports et media (il y aussi le web) et pas  une revue qui en prime (Pif-le-chien...) vous donne un CD ou une cassette.

 

10/Hormis les aspects techniques, quoi de particulier à signaler pour la réalisation du DVD?

 

-Un énorme problème, auquel DOC(K)S n’est pas habitué. Le papier, c’est facile, on peut toujours rajouter une page ou un cahier. Le DVD, non: il faut 4,3 GO et rien de plus. Impossible de changer cela. Or nous avons reçu bien plus de cassettes. Il a donc fallu faire des choix, il a fallu sélectionner. Parfois avec une terrible mauvaise conscience.

 

11/ Quels critères?

 

- Pratiques pour commencer; nous avons décidé que pour faire un DVD il nous fallait, sauf exception, des cassettes DV. À partir d’un VHS, souvent une copie palotte, c’est impossible d’aboutir à une image “standard”. Et comme nous l’avons déjà dit nous avons voulu rester aussi proche que possible de la norme. Alors voilà, nous avons du abandonner les cassettes de Clemente Padin, de Ruggero Maggi, d’Eric Andersen et de pas mal d’autres; les seuls rescapés étant ceux qui cherchaient à travers le VHS un effet “destroyed” bien spécial, comme Stéphane Bérard: là, loin de tenter de sauver ou restaurer les images nous avons aggravé la situation. Ensuite, il y a des critères liés à notre vision de la performance... et des medias!-  Des objets qui ont leur véritable élément d’existence dans le son, qu’il s’agisse de poésie sonore ou de lectures oralisées n’ont prioritairement rien à faire sur ce DVD. De même pour ceux qui ne visent pas à rendre compte de manière documentaire d’une performance mais l’utilisent comme matériau, dans le but d’une création vidéo autonome. Ainsi  pour  une  très belle  vidéo de Jacques Sivan et Vannina Maestri; nous avons décidé de la laisser de côté. Pour un autre chantier. Item pour Doctorovich qui nous a envoyé un ready made, l’enregistrement video d’un match de football en Argentine. À .vrai dire, il y a sur le DVD 2 ou 3 cas très limites, où nous avons hésité: après tout la vidéo de Joël Hubaut n’est pas “documentaire’”, elle résulte du montage de deux performances dont l’une est assez “privée”. Bon, parfois on transige. Hubaut était indispensable sur un DVD lié à la performance. Après tout la cohérence d’une démarche et son inscription dans le champ et la durée sont aussi des critères à prendre en compte...

Plus la volonté de donner une vision aussi large, aussi internationale et aussi diversifiée que possible. Sans esprit de chapelle. Et c’est clair qu’entre les actions décentrées et très contextualisées de Black Market, le corps vociférant et prophétisant de Julien Blaine, les actions plastiques de Fernando Aguiar, les  pratiques de l’install’action chères à Akenaton, l’ action “festive” de Charles Dreyfus, l’humour fluxus ou la dérive urbaine du Collectif Inter, il y a des différences énormes... Mais pas plus au fond qu’entre un tableau de Mondrian, de Braque et de Schwitters. En tout cas malgré quelques absences majeures (John Giorno ou Serge Pey par exemple, dont les cassettes attendues se sont perdues on ne sait où...) nous espérons que l’image livrée n’est pas trop réductrice.

 

12/ Pensez -vous que le lecteur ou le spectateur va vraiment sortir de tout ça avec des idées plus claires sur la performance?

 

-Il sortira avec un mode d’emploi enrichi pour ce terme. Certes, ça ne fait pas une définition. Et alors??? ” Performance” est un intercatégorème - Dada est un intercatégorème. Un intercatégorème ne veut rien dire. Il est un mot qui désigne un ensemble de choses qui échappent aux autres termes dont on dispose et qui acquiert ainsi un sens en se frayant des coudes dans la langue.  Ceux qui demandent une définition de la performance demandent une chose idiote, une rivière ne se laisse pas mettre en tas comme des briques, elle coule, on la regarde ou on y plonge. Dada et performance sont synonymes dans ce sens là, qui est de ne pas en avoir de stable, de précis. Des mots de ce genre sont des trous. Des trous dans la peau ou le tissu conjonctif qu’est la langue. Les trous font parler.

 

----------------------------C’est par les trous que l’on respire.

Ph. Castellin 2004