Streams of messages, streams of consciousness

Jan De Vree – à propos de Luc FIERENS

 

 

D’un point de vue historique, l’art du vingtième siècle, et plus particulièrement l’art contemporain, souffre de troubles de communication. Cette problématique se situe surtout au niveau du dialogue, en ce sens que dans une société basée sur la culture de masse, l’interlocuteur n’est plus exclusivement représenté par les mécènes amateurs d’art. Par ailleurs, force est de constater que ce court-circuit en matière de communication a parfois déclenché l’une ou l’autre impulsion créative, tout en aggravant extrêmement l’ambiguïté du rapport entre commanditaire, producteur et consommateur.

En d’autres termes, il n’existe donc plus aucune relation organique ou personnelle entre celui ou celle qui produit de l’art et celui ou celle qui en consomme ; plus le moindre prince ou prélat pour forger, en exposant des oeuvres d’art dans le cadre historique de son palais ou lieu de culte, pour sa satisfaction personnelle, des signes prestigieux de réussite sociale qui forcent l’admiration. Le mécénat a subi une laïcisation de fond en comble.

 

 

 

A l’heure actuelle, l’œuvre d’art s’est transmuée en un produit qui, à l’instar de tous les autres, est destiné à être exhibé dans des étalages; à être consommé dans un environnement qui se veut résolument impersonnel, collectif et quantitativement massif. Comment faire pour communiquer alors ? Comment faire pour encadrer et surtout stimuler un public dans une société régie par la globalisation de la pensée et les actes de terrorisme, au sein de laquelle la peur et la tromperie pervertissent les valeurs humaines, au sein de laquelle l’individu est un consommateur d’illusions qui se laisse ronger par une prolifération de signes et de codes qui le condamnent à une passivité léthargique ? Tout porte à croire en fait, que bien des œuvres d’art se vautrent dans cette situation ô combien pernicieuse.

Sous l’angle historique, l’art du vingtième siècle, et surtout l’avant-garde, a déconstruit toutes les catégories et tous les genres bien établis et respectés. Et comme corollaire à cette approche de déconstruction, il semble tout naturel que d’autres paramètres soient remis en question, notamment les concepts de l’authenticité, l’unicité, l’originalité, le contexte, et d’autres encore. D’ordinaire, c’est précisément la problématique concernant les notions d’interactivité, de participation et de communication qui est abordée par les artistes avant-gardistes.

D’un point de vue général, l’avant-garde a déverrouillé l’œuvre d’art pour en faire une “opera aperta” (U.Eco), émancipée de l’objet d’art statique pour devenir un modèle dynamique de processus, de la simple contemplation pour devenir active participation. Elle fait l’objet d’un véritable détournement, d’une recherche fondamentale de l’interdisciplinaire et de la paternité, de la qualité d’auteur, depuis « l’auteur en tant que producteur » (W. Benjamin) en passant par la « mort de l’auteur » (R. Barthes), pour aboutir à plusieurs auteurs ou une paternité collective. La conception romantique du génie de l’artiste a dû faire place à un « processeur » plus prosaïque, celui qui tente de nouer des contacts sociaux dans le rhizome des canaux de communication. Force est de constater que ce phénomène est lié à une médiatisation plus large de la société et donc aussi de l’art, et la dématérialisation de l’ “opera aperta” concerne tant la numérisation du marché, la sitcom-isation de l’éthique que la façon dont l’art est aperçu.

Après la gifle du conceptualisme dématérialisé, seul un petit nombre d’options semblaient avoir leur importance : la négation de l’avant-garde par la restauration de la tradition ou alors, l’injection d’une nouvelle énergie de l’image dans les arts plastiques soit en puisant dans l’art low-brow soit dans d’autres disciplines artistiques. Il est frappant de constater qu’à la suite d’un ressourcement issu de l’expressionnisme (Transavanguardia, Neue Wilden, Neo-Expressionisme) et la rage du recyclage du postmodernisme dans les années 1980, on ait pu vérifier un embrasement et un développement soutenu de rejetons avant-gardistes : performance et Body-Art, Mail-Art et Video-Art, multimédia et new media. En d’autres termes, l’art conçu comme un modèle de communication processuel.

 

 

 

La communication forme également l’indice de base de la créativité artistique de Luc Fierens. Il exprime son mode de fonctionnement dans cette vie à travers une série de projets et de poèmes visuels qui font précisément ce qu’il veut qu’ils fassent : communiquer et échanger des réflexions avec d’autres, afin de pénétrer la banalité de la vie quotidienne et de rechercher un sens à cette vie, plutôt que de tomber dans le sloganesque ou une dissection socio-politique de la réalité. Il le fait, mais sans écrire, sans dessiner ou sans peindre. Il le fait en découpant, en collant, en montant et en compilant. Luc Fierens enregistre, sélectionne en échelonnant les signes et les codes de son époque avec des moyens qui se veulent facilement accessibles et identifiables. Il utilise la technique de l’accumulation et (dé)construit des fragments pour former une nouvelle unité plastique, de telle sorte que l’oeuvre devient une analyse de la représentation, tant au niveau de la forme que du contenu, tout en donnant lieu à des associations libres. Elle est ‘ouverte’, transcendante, interdisciplinaire, processuelle, conceptuelle et liée à un contexte, et dès lors toujours orientée vers l’interaction avec le récipiendaire. Vu sous cet angle, aux yeux de Luc Fierens, ce n’est pas la matérialisation de l’art en artefact qui importe le plus, mais bien l’établissement de contacts, la mise en place des actions nanties d’une opportunité sociale. Par conséquent, le labeur artistique de Fierens consiste en une intervention critique dans l’image d’une époque telle qu’elle est déterminée par les masses médias et à livrer un commentaire ironique sur la structure, la fonction et la manipulation de ces masses médias et le cas échéant, à démasquer. En fin de compte, derrière cette idée se cache l’espoir que l’art pourra changer la société. Tributaire du Dadaïsme et du Surréalisme de par ses réalisations formelles et apparenté, de par le contenu, à la poésie visuelle, idéologiquement proche de Fluxus, punk & underground, Fierens s’inscrit entièrement dans la tradition de l’avant-garde internationale.

 

 

 

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